J’éprouve quelque scrupule à me joindre à la furie commémorative qui s’est emparée des médias français à l’occasion du dixième anniversaire des attentats contre les tours jumelles de New York et le Pentagone, près de Washington. Les Allemands un verbe tout à fait adéquat pour désigner l’accumulation de vaines paroles autour d’un sujet : todschwatzen, littéralement tuer sous le bavardage. Nous, Français, devons être les champions du monde de ce genre de sport consistant à rajouter du commentaire au commentaire jusqu’à donner la nausée à ceux qui sont soumis à ce bombardement verbal.
De plus, on ne se contente pas de faire tourner le moulin à paroles le seul jour anniversaire : le cirque commence une bonne semaine avant, à coup « d’opérations spéciales » des télés et radios dont les programmes sont dépaysés pour l’occasion et des suppléments exceptionnels des journaux et magazines.
On peut comprendre l’envie de certains journalistes et associés dans la production d’informations de quitter pendant une journée ou deux la grisaille de leurs bureaux ou de leurs studios pour se faire une virée à New York ou au Caire. Mais quel bénéfice en tire le cochon de consommateur d’info ? Je négligerai les frottements, comme on disant jadis dans les énoncés de problèmes de physique[1. Ce qui faisait rire bêtement les adolescents boutonneux du siècle dernier], en l’occurrence les bugs techniques qui nous brouillent régulièrement l’écoute. Mais près avoir écouté mercredi 6 septembre la journée spéciale France Culture, je suis au regret de constater qu’en matière de contenu, la plus-value informative de ces déplacements massifs est proche de zéro. On retrouve, comme par hasard, dans les tables rondes les mêmes interlocuteurs francophones que l’on a déjà entendus mille fois. Un universitaire américain parlant français et aimant notre pays, généralement situé à la gauche de l’échiquier politique des Etats-Unis, et l’affaire est dans le sac. Quant à la voix du peuple, elle sera recueillie par un grand reporter sillonnant l’Amérique profonde, guidé par son idée géniale de se poser dans trois villages dénommés Bagdad. On en ressort avec l’impression que ces Amerloques sont de foutus ploucs, dangereux en plus avec leur manie de collectionner les flingues. En Orient, les mêmes clients réguliers des médias se composent d’intellectuels occidentalisés et de cultureux bénéficiant de la manne française pour produire leurs films ou leurs spectacles.
Jamais on ne vous fera entendre un partisan du Tea party ou des Frères musulmans, ou des Talibans. Il doit pourtant bien y avoir dans ces mouvances quelques individus capables de s’exprimer en français et dont l’avis sur le 11 septembre et ses conséquences ne manquerait pas d’intérêt, vu l’influence qu’elles risquent exercer sur le cours ultérieur des choses.
La vérité, c’est qu’une commémoration n’est pas un événement : oublier cette lapalissade conduit au mieux au psittacisme, au pire à la propagande (en l’occurrence anti-américaine) dissimulée derrière le voile magique de la sacro-sainte présence sur le terrain.
Le postulat selon lequel le 11 septembre 2001 constitue une rupture dans l’histoire mondiale est rarement remis en question. Il a pourtant beaucoup moins affecté la puissance des Etats-Unis que la guerre commerciale avec la Chine, et ses principaux effets se limitent aux désagréments rencontrés par les voyageurs dans les aéroports[2. Le « politiquement correct » américain ayant interdit les « profilages » à l’israélienne des terroristes potentiels, on enquiquine tout le monde, même les papys obligés d’enlever leur ceinture et de retenir maladroitement leur pantalon. Voilà la vraie rupture épistémologique induite par le 11 septembre] Pour le reste, un nouveau conflit entre Saddam Hussein et le monde occidental était inscrit dans les astres, comme l’est aujourd’hui le prochain affrontement entre ce même Occident et les théocrates iraniens, si ces derniers parviennent à contenir les révoltes populaires. Quant à l’élection d’un président démocrate après huit ans de présidence républicaine elle n’a que peu à voir avec « 9/11 », et la politique de hard power des Etats-Unis n’a pas été notablement modifiée par le soft power discursif de son président.
Et le printemps arabe, rétorquera-t-on ? N’est-il pas une conséquence lointaine et inattendue du projet néo-conservateur de « Grand Moyen-Orient démocratique » lancé en 2005 par G.W. Bush à la suite de la guerre en Irak et moqué par tout ce que la planète commentatrice compte de bons esprits progressistes ? Certains intellos égyptiens invités par France-Culture n’étaient pas loin de le penser, mais s’en tiraient par la pirouette selon laquelle un mal peut sortir un bien. Que les dictatures ne soient pas éternelles, et qu’un despote en fin de course soit particulièrement fragilisé est une constante historique observable bien avant l’attentat contre le WTR…
En somme, il n’y a rien à dire de nouveau en ce 11 septembre 2001, il suffit de laisser les familles des victimes se recueillir en souvenirs de leurs proches massacrés. Je me tais donc.
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