Dans ce débat qui revient sans cesse, les sénateurs ont adopté le 30 mars un amendement présenté par Max Brisson (LR) élargissant le principe de neutralité aux parents accompagnant les sorties scolaires.
Bien plus courageux que le gouvernement, le Sénat a voté ces derniers jours plusieurs amendements bienvenus au projet de loi « confortant le respect des principes de la République ». L’un d’entre eux, en particulier, a suscité de nombreuses réactions. Et l’ampleur même de l’hostilité qu’il soulève parmi les islamistes et ceux que l’on appelle les islamo-gauchistes, prouve, si besoin était, qu’il est particulièrement bienvenu.
Il s’agit de l’élargissement du principe de neutralité aux parents accompagnant les sorties scolaires. En clair, et tout le monde sait que c’est ce dont il s’agit, de l’obligation faite aux « mamans voilées » d’ôter leur voile pour accompagner les sorties scolaires. Et mon titre est volontairement provocateur, puisqu’il ne s’agit évidemment à aucun moment d’interdire aux « mamans voilées » de participer aux sorties scolaires, mais simplement de leur imposer (comme d’ailleurs à tous les parents d’élèves) d’adopter lorsqu’elles y participent une tenue correcte et adaptée, ce qui n’est absolument pas la même chose.
Lydia Guirous, Fatiha Aga-Boudjahlat, Aurore Bergé favorables depuis longtemps
Défendue depuis des années par des personnalités de droite comme de gauche, au premier rang desquelles Lydia Guirous et Fatiha Aga-Boudjahlat, cette mesure a initialement été proposée à l’Assemblée par Aurore Bergé et Jean-Baptiste Moreau, malgré l’opposition de la majorité LREM à laquelle tous deux appartiennent. Le gouvernement était alors parvenu à censurer cette proposition sous des prétextes fallacieux, et on peut remercier la majorité de droite du Sénat, et en particulier Max Brisson, Bruno Retailleau, Jacqueline Eustache-Brinio et Valérie Boyer, d’avoir résolument remis la question à l’ordre du jour.
Alors que le sujet attise les passions – ce qui, redisons-le, suffit à démontrer que le voile n’est pas un « simple vêtement » – il est plus nécessaire que jamais de rappeler quelques éléments factuels, que je soumets à la réflexion de chacun.
La véritable impudicité n’est-elle pas du côté de cette soi-disant «pudeur» qui s’exhibe avec arrogance?
D’abord, il est ridicule d’évoquer un quelconque « droit de s’habiller comme on veut ». Outre évidemment l’article R645-1 du Code Pénal qui réprime « le port ou l’exhibition d’uniformes, insignes ou emblèmes rappelant ceux d’organisations ou de personnes responsables de crimes contre l’humanité », il serait (et heureusement !) inconcevable d’accompagner une sortie scolaire totalement nu à l’exception d’un string de cuir clouté et de bottes d’équitation. C’est donc que des limites, légales ou de simple bon sens, existent.
Une forme de courtoisie devrait aussi s’imposer. Serait-il légitime de prendre prétexte d’un rôle d’accompagnant pour infliger aux enfants d’autrui ses engagements militants personnels, quels qu’ils soient ? Voudrait-on voir fleurir pendant les sorties scolaires les t-shirts « Votez Mélenchon », « Le Pen, vite » ou « Tous avec Macron » ?
Naturellement, si l’Assemblée devait repousser l’amendement que nous évoquons, il sera probablement nécessaire de se faire un devoir d’accompagner les enfants en portant des vêtements ornés des plus belles caricatures de Charlie Hebdo, en particulier l’immortel « Charia Hebdo », afin d’imposer un contrepoids à l’ostentation religieuse du voile. Mais, sincèrement, ne vaudrait-il pas mieux garder le temps scolaire à l’écart de ces querelles ?
Un signe sexiste et obscurantiste
Au-delà de ces considérations générales sur la neutralité, et parce que c’est évidemment du voile islamique qu’il s’agit, et non de t-shirts politiques ou de la robe safran de moins bouddhistes, il est bon de se souvenir de certains points concernant spécifiquement ce voile, qu’il s’agisse d’un hijab, d’un simple foulard, d’un khimar, d’un jilbab ou que sais-je.
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Avant tout, convenons que la signification d’un symbole dans l’espace public de dépend pas des intentions de la personne qui arbore ce symbole, mais du sens qui lui est collectivement attribué. Elle est définie par une histoire, un contexte, et son usage dans le cadre général. Ainsi, si deux spécialistes de la Rome antique se rencontrent dans la rue et se saluent à la romaine, on leur reprochera ce que tout le monde prendra pour un salut nazi, et ce reproche sera parfaitement justifié. Dans le cas du voile, la question n’est donc pas de spéculer sur les raisons pour lesquelles telle ou telle femme le porte, mais de savoir si oui ou non il s’agit d’un symbole, s’il a une signification dans l’espace public, et si oui, laquelle. Ensuite, et ensuite seulement, il sera possible de débattre de l’attitude à adopter.
On me rétorquera que nous ne sommes pas en Iran: nous ne sommes pas non plus un monde à part, sans lien avec le reste de la planète
L’histoire du voile est évidemment à prendre en compte, et sur ce point je renvoie d’une part à la conférence de Souâd Ayada sur le sujet, mais aussi à la prise de position pleine d’humour du président Nasser. On connaît ces photos des années 60, qui montrent que les universités du Caire ou de Téhéran accueillaient de nombreuses étudiantes, dont aucune ou presque n’était voilée. On sait que dans la foule iranienne qui pourtant acclamait Khomeiny à sa prise de pouvoir, il n’y avait pas de femmes voilées. Et on sait, ou en tout cas toute personne s’exprimant sur le sujet du voile devrait savoir, que dès que ce symbole fut rendu obligatoire par la république islamique, des Iraniennes descendirent courageusement dans la rue par milliers pour protester. Rappelons enfin que, selon les sondages, deux tiers des musulmanes vivant aujourd’hui en France ne portent pas le voile, et on en trouve même bon nombre qui sont les premières à s’y opposer !
L’équation simpliste musulmane = femme voilée est donc radicalement fausse. La critique même virulente de ce symbole, que le musulman et islamologue Ghaleb Bencheikh a qualifié « d’atteinte à la dignité humaine dans sa composante féminine », ne saurait donc être considérée comme un rejet des musulmanes en général. C’est même plutôt sa défense qui est très souvent une tentative d’invisibiliser les musulmanes non voilées !
En France, c’est le voile qui est impudique!
D’ailleurs, cette défense du voile s’accompagne systématiquement de la dévalorisation des femmes qui ne le portent pas, toutes les campagnes de promotion du hijab le prouvent. Ainsi, on se souvient de Hani Ramadan, déclarant « la femme sans voile est comme une pièce de deux euros, elle passe d’une main à l’autre. » On se souvient aussi des campagnes d’affichage comparant la femme voilée à une sucette emballée, et la femme non voilée à une sucette sans papier recouverte de mouches. Méprisant pour les femmes, et révélateur d’une certaine vision des hommes considérés comme incapables de respecter les femmes. « Un homme, ça s’empêche. Voilà ce qu’est un homme » écrivait Camus. Manifestement pas pour les défenseurs du voile. Intéressant aveu de ce qu’ils pensent d’eux-mêmes, de ce qu’ils pensent que leurs convictions ont fait d’eux.
Quant au terme désormais généralisé dans le monde anglo-saxon de « modest fashion » pour désigner la mode islamique, en français « mode pudique », il est une injure puisqu’il sous-entend que les femmes qui ne se plient pas à ses diktats seraient « immodestes », impudiques – diront-ils bientôt ouvertement « impures » ? Et au passage, la véritable impudicité n’est-elle pas du côté de cette soi-disant « pudeur » qui s’exhibe avec arrogance ? « Regardez-moi comme je me dissimule bien ! » « Regardez-moi comme je suis bien pudique ! » Profonde hypocrisie : il ne peut pas y avoir de pudeur ostentatoire.
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Conséquence évidente, partout où le voile devient la norme, les femmes qui ne le portent pas voient leurs droits bafoués. Le cas de l’Iran est à cet égard emblématique, et on ne dira jamais assez le courage admirable des femmes qui s’opposent à ce vêtement devenu le symbole de la dictature totalitaire islamiste. On me rétorquera que nous ne sommes pas en Iran : nous ne sommes pas non plus un monde à part, sans lien avec le reste de la planète. Prétendre qu’il n’y aurait aucun rapport est, de la part de celles qui défendent ici le port du voile, d’un incroyable égoïsme. Comme le dit l’égyptienne Mona Eltahawy : « Les femmes du monde occidental portant un voile contribuent à asservir les femmes ailleurs dans le monde pour lesquelles le port du voile est une contrainte. »
Même en France, on observe la justesse de la formule de Waleed Al-Husseini : « le port du hijab est un choix, jusqu’à ce que vous l’enleviez. » Les tombereaux d’insultes que les réseaux sociaux déversent sur les femmes décidant d’ôter le voile le prouvent presque chaque jour, le cas de Mennel Ibtissem l’illustre bien. Harcèlement qui, hélas, ne se cantonne pas au monde virtuel : il faut entendre les nombreux témoignages comme celui-ci.
Les «mamans voilées» ne peuvent feindre d’ignorer le contexte
Se pose aussi la question cruciale de la réciprocité. Celles qui militent pour le port du voile militent-elles pour le droit de l’enlever ? Après l’attentat abominable de Christchurch, on a vu nombre de non-musulmanes porter un voile en signe de solidarité. Mais a-t-on déjà vu des musulmanes voilées enlever leur voile en signe de solidarité avec les victimes non-musulmanes des attentats islamistes ? Ou avec les femmes qui sont emprisonnées parce qu’elles refusent de porter cette tenue ? Jamais. Et cela ne suffit-il pas à nous dire tout ce que nous avons besoin de savoir sur le voile ?
Qu’on le veuille ou non, l’idéal islamique auquel se réfère le voile est sexiste, et méprisant envers les non-musulmans. Je ne dis pas que la situation des femmes dans les pays occidentaux serait parfaite : elle est cependant bien meilleure que dans les pays musulmans ! Chez nous, l’égalité des droits civiques entre femmes et hommes est garantie, alors que l’islam appelle à une radicale inégalité en droit (partage de l’héritage, valeur du témoignage, etc) qui concrétise une tout aussi radicale inégalité ontologique (la polygamie, même si elle peut être minoritaire, est autorisée, au contraire de la polyandrie, et le Coran normalise totalement les violences conjugales – sourate 4 verset 34 – ainsi que l’esclavage sexuel des prisonnières de guerre – sourate 4 versets 3, 23 et 24, sourate 23 verset 6, etc). Quant au mépris envers les non-musulmans, et plus profondément envers la liberté de conscience, il n’est qu’à constater la criminalisation de l’apostasie dans la quasi-totalité des pays musulmans pour s’en convaincre, sans oublier la légitimité doctrinale de la mise à mort des apostats.
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Une tenue que les islamistes cherchent systématiquement à imposer ne saurait être considérée comme un simple vêtement : c’est un étendard, l’affichage ostentatoire de l’adhésion à une idéologie sexiste et totalitaire. Et même si celles qui le portent ne soutiennent pas tous les aspects de cette idéologie, elles en font néanmoins la promotion. C’est la situation du colleur d’affiche en période de campagne électorale : même s’il ne partage pas toutes les idées du parti qu’il soutient, en œuvrant à la victoire de ce parti il participe à la mise en œuvre de la totalité de son programme, y compris les points de ce programme avec lesquels il serait en désaccord.
Encore une fois, toutes les femmes voilées ne sont pas des islamistes. Mais aucune ne peut prétendre décider seule de la signification du symbole qu’elle porte, ni prétendre ignorer le contexte que je viens d’évoquer. Il se trouve que je connais une dame d’un certain âge, militante communiste, absolument adorable, chaleureuse, le cœur sur la main, prête à se mettre en danger pour défendre la liberté d’autrui. Est-ce une raison pour nier la réalité des goulags ? Est-ce une raison pour ne pas voir ce qui, dans l’idéologie communiste, a rendu les goulags non seulement possibles mais légitimes, pour ne pas dire inévitables ? Est-ce une raison pour autoriser des parents à participer à des sorties scolaires en arborant de la propagande stalinienne ?
Il en va de même du voile islamique.
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