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Faut-il fermer la Fed ?


Faut-il fermer la Fed ?

Il n’est pas impossible que vous ayez lu ou entendu le terme de Quantitative Easing quelque part. Comme c’est un poil plus important que le dernier lapsus de Rachida Dati mais que la presse spécialisée hexagonale semble préférer éviter soigneusement d’aborder un sujet auquel le lecteur (mais surtout le journaliste) risque de ne rien comprendre, j’ai pensé utile de vous fournir quelques éléments complémentaires.

Un petit rappel préalable s’impose. Le mandat de la Fed[1. La Federal Reserve, la banque centrale américaine] – qui est à quelques détails de forme près le mandat de toutes les banques centrales – consiste à assurer le maximum d’emploi (et donc de croissance) sous contrainte de stabilité des prix (et donc du pouvoir d’achat du dollar). Pour ce faire, les banques centrales mettent en œuvre une politique – la politique monétaire – que l’on résumer un peu grossièrement de la manière suivante : si la Fed pense qu’il y a de l’inflation – c’est-à-dire que le dollar perd de sa valeur – elle cherche à faire remonter les taux (donc, le coût du crédit) pour freiner la croissance et stabiliser la valeur du dollar. Si, a contrario, la croissance est trop faible (il y a du chômage) la Fed cherche à faire baisser les taux pour stimuler la croissance[2. Vous avez lu, ici et là, que la Fed cherchait à faire baisser la parité du dollar pour stimuler les exportations américaine. C’est faux. La baisse de la parité du dollar n’est pas l’objectif (même si c’est bien le résultat)]. Le taux que pilotent les banques centrales c’est le taux du marché interbancaire – c’est-à-dire le taux moyen auquel les banques se prêtent de l’argent entre elles. En faisant baisser (monter) ce taux, les banques centrales incitent les banques commerciales à prêter plus (moins) d’argent à l’économie et espèrent ainsi réguler l’investissement des entreprises et la consommation des ménages. Pour faire baisser les taux d’intérêt, les banques centrales disposent d’une arme fatale : la planche à billet (ou du moins son équivalent électronique moderne). Le mécanisme, connu sous le nom d’opération d’Open Market, consiste à créer des dollars ex-nihilo et à utiliser ces dollars pour acheter des obligations d’Etat sur les marchés financiers. Les dollars fraîchement créés viennent créditer les comptes bancaires de ceux qui ont vendu leurs obligations, alimentent l’industrie bancaire en argent frais et permettent ainsi d’augmenter l’offre de dollars sur le marché interbancaire… ce qui fait baisser le taux.

Par exemple, lorsque la bulle Internet a explosé, la Fed a fait baisser massivement le taux des Fed Funds (le taux du marché interbancaire chez Oncle Sam) pour inciter les banques à prêter et pousser les entreprises et les ménages américains à s’endetter et à consommer. Les Américains se sont donc endetté, ont acheté des maisons et ont fait grimper les prix tant et si bien qu’Oncle Sam s’est retrouvé avec une bulle immobilière sur les bras – une sorte d’inflation en gros. Du coup, la Fed a fait remonter le taux des Fed Funds pour freiner la bulle. Ça a très bien fonctionné : elle a même réussi à faire exploser la bulle et à pulvériser au passage toute l’industrie bancaire américaine. Face à la panique et à la récession qui a suivi, Ben Helicopter Bernanke, le patron de la Fed, a de nouveau fait baisser les Fed Funds en injectant dans l’économie américaine en quelques mois plus de dollars que la Fed n’en avait créés depuis sa fondation en 1913 mais là – stupeur – il semble que les entreprises et les ménages américains n’aient plus tellement envie de s’endetter et que les banques – qui ont senti le souffle du boulet passer un peu trop près à leur goût – n’aient plus tellement envie de prêter.

La Fed s’apprête à injecter 600 milliards de dollars dans l’économie

D’habitude, quand une politique économique ne fonctionne pas (c’est-à-dire la plupart du temps), la solution préférée de nos gouvernements consiste à refaire la même chose en plus gros. Appliquée à la Fed, la traduction de ce principe d’économie politique coule de source : si la baisse des taux et la création monétaire qui l’a accompagnée n’ont pas réussi à faire redémarrer l’économie américaine, il faut imprimer plus de dollars et faire baisser les taux encore plus bas. Seulement là, les Fed Funds sont déjà à zéro.

C’est là que le Quantitative Easing intervient. En gros, le QE est aux opérations d’Open Market classiques ce que le missile balistique est aux obus de 75 : on ne cherche plus à inciter les banques à prêter de l’argent, on fait baisser les taux de force en achetant massivement des obligations sur le marché. Or, là, on en est à la deuxième couche. Cette fois-ci c’est quelques 600 milliards de dollars que la Fed s’apprête à injecter dans l’économie comme une fermière du Périgord injecte du grain dans le gosier de ses oies.

Si QE1 avait pas mal de supporters, QE2 fait clairement débat. Je schématise : à ma gauche, principalement des keynésiens[3. De John Maynard Keynes, économistes britannique et probablement un des penseurs les plus importants du XXème siècle. Son œuvre constitue le socle théorique qui justifie l’intervention de nos gouvernements dans le pilotage de l’économie] (notamment Paul Krugman) qui considèrent que la demande américaine est trop faible et que seule une intervention massive de l’Etat (plans de relance de type New Deal) et des banques centrales (QE1, 2, 3…) peut sauver l’économie. À ma droite, des libéraux et très notoirement l’école autrichienne qui, comme Hayek[4. Friedrich August Hayek, un des plus remarquables penseurs libéraux de l’histoire qui fût en son temps l’un des principaux adversaires de Keynes] autrefois, s’y opposent au motif que ces politiques sont inefficaces (on ne force pas un cheval à boire s’il n’a pas soif) et que cette deuxième phase de Quantitative Easing ne fait que préparer de l’inflation, la prochaine bulle et la récession qui suivra.

Le débat fait rage un peu partout et ceux qui s’intéressent à ces sujets futiles (qui ne concernent après tout que nos le devenir de nos économies, de nos emplois, de notre épargne… bref, que des choses tout à fait secondaires n’est-ce pas ?) peuvent désormais le suivre en direct sur la blogosphère. Depuis la chute des idéologies totalitaires du siècle dernier et la faillite des grands systèmes collectivistes, on n’avait plus vu de telles lignes de fractures et des débats aussi fondamentaux sur le devenir de nos sociétés. La pensée mainstream issue de la synthèse néoclassique – c’est-à-dire, pour faire simple, la synthèse des idées macro-économiques de Keynes, de la micro-économie néoclassique et des monétaristes (Milton Friedman) – tournait en rond sans véritable adversaire. Aujourd’hui, débat il y a. On en est revenu au débat de Keynes contre Hayek et, en soi, c’est plutôt une bonne nouvelle.

Sans ambiguïtés, je me range dans ce deuxième camp. La dernière banque centrale à avoir tenté l’expérience du QE c’est la Bank of Japan au début des années 90 et la période qui a suivi est restée dans la mémoire collective nippone comme la « décennie perdue »[5. Qui dure maintenant depuis deux décennies]. Au-delà du Quantitative Easing, c’est tout un système qui doit être remis en cause. Le titre d’un papier publié récemment par trois spécialistes des questions monétaires – « La Fed a-t-elle été un échec ?[6. “Has the Fed Been a Failure?” – George Selgin, William Lastrapes et Larry White] » – en dit suffisamment sur les interrogations que l’on peut légitimement avoir sur l’organisation de notre système monétaire et financier en général et sur le rôle des banques centrales en particulier. Entre dévaluation massive des monnaies et aggravation des cycles économiques (la soi-disant-crise-des-subprimes en étant la dernière illustration) le bilan de ces institutions surpuissantes n’est en effet pas glorieux et de plus en plus de voix s’élèvent pour remettre en cause leur pouvoir exorbitant. Entre un retour à l’étalon-or et la privatisation pure et simple des monnaies, le débat promet d’être intéressant.



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