Pour de cause de bouclage du Causeur n°34, et de la mobilisation générale afférente, cet article de Florentin est publié une bonne semaine après avoir été écrit. De fait, il a été rédigé juste après l’utilisation controversée par Claude Guéant du mot « croisade » à propos de l’intervention en Libye. N’y cherchez donc pas d’allusion au dernier scandale hebdomadaire provoqué chez les bonnes âmes par la déclaration du ministre de l’Intérieur sur les musulmans en France. Cela porte d’autant moins à conséquence que, comme vous le verrez, cette actualité brûlante à répétition n’aurait pas changé grand-chose ni à l’analyse, ni à la colère de l’auteur…
Ça faisait longtemps[1. Oui, je sais, je prends le train de cette nouvelle croisade en marche, puisque Jacques de Guillebon a déjà, sur le site, excellemment ouvert le feu, mais nous ne serons pas trop de deux pour former le bataillon des pourfendeurs de la connerie ambiante]. Quelques mois ou quelques semaines, je ne sais plus, qu’on n’avait pas eu droit à notre petite phrase en forme de dérapage. En ces temps de disette (je n’ai pas dit de carême, hein, notez bien !) pour toutes les foules sentimentales en mal d’indignation, la déclaration de notre nouveau ministre de l’Intérieur est tombée à pic. La voici donc : « Le Président a pris la tête de la croisade pour mobiliser le Conseil de sécurité des Nations unies et puis la Ligue arabe et l’Union africaine ». François Hollande a dit que « croisade », c’était « le mot qu’il ne fallait pas prononcer » ; François Bayrou y a vu une « faute » ; quant à Martine Aubry, pleine de condescendance pour le néophyte qu’est Guéant, elle trouve qu’il est « jeune en politique ». Il est vrai que, contrairement à d’autres, la politique, il n’est pas tombé dedans quand il était petit. Si on comprend bien, si Guéant a fauté, c’est qu’il a été discriminé dans son enfance de fils d’employé : il ne connaît pas les codes, le pauvre. Pardonnons-lui, à ce brave garçon un peu simplet : il ne sait pas ce qu’il dit. Pas comme certains héritiers qui, très pros, disent toujours exactement ce qu’il faut.
Mais non, elle ne pardonne pas, Martine : la culture de l’excuse, ça ne marche pas quand on est au gouvernement. Quant à Marine Le Pen, pour une fois à l’unisson de la classe politique, elle trouve aussi que l’on ne doit pas utiliser des mots comme ça, qui font de la peine aux musulmans… Et Juppé lui-même, supposé appartenir au même camp que Guéant, y a vu une « maladresse ». Bref, une belle unanimité, trop rare dans notre village gaulois qui passe son temps à s’engueuler.
L’unanimité, c’est toujours intéressant. Ainsi, aujourd’hui en France − le pays qui, je crois, a inventé la croisade −, tout le monde est d’accord pour dire que « croisade », c’est un vilain mot. Le ministre Guéant a beau dégainer son dictionnaire, et prouver par a plus b que ce mot accepte depuis des lustres en français une acception figurée qui l’affranchit de son sens premier, rien n’y fait. Dans la bonne société, « croisade », ça ne se dit pas.
Et si on lançait une croisade contre la connerie ?
On pensait être était venu à bout de tous les tabous du vieux monde. Ou on espérait que s’il en restait, la conscience progressiste leur ferait bientôt leur fête. Or, c’est elle qui en invente de nouveaux tabous. Croisade : viré du dictionnaire. Comme le mot « race » il y a peu. Dorénavant, le mot « croisade » ne devra être prononcé qu’en se bouchant le nez, à l’unisson de nos amis islamistes. Car le mot qu’il ne faut pas prononcer, c’est celui qui fâche les musulmans, non pas les Arabes − Jacques de Guillebon a remarqué qu’il y avait outre-Méditerranée quelques Arabes chrétiens −, mais les musulmans. J’ose espérer pour ma part qu’il y a, parmi les musulmans, de nombreux esprits libres qui se gaussent de notre pudibonderie langagière et ne sont pas ridiculement vexés (ou pire, ne jubilent pas) lorsqu’un ministre français utilise correctement un vieux mot français pour évoquer une campagne visant à éviter qu’une population très majoritairement musulmane se fasse massacrer. Il y a, je trouve, une certaine condescendance à l’égard des musulmans lorsqu’on les considère comme une espèce de meute d’enfants irascibles qu’il faudrait ménager à tout prix, incapables de distinguer un sens premier d’un sens figuré.
Mais puisque les jeux sont faits, et en attendant que le mot « croisade », dans son sens positif de « campagne » soit définitivement banni du dictionnaire, je propose une ultime, une toute dernière croisade, et − promis − après on n’en parle plus. Qu’une croisade contre la connerie, contre la stupide néo-pudibonderie qui s’étale aujourd’hui avec soit lancée dans notre pays. Et que cette dernière croisade soit une occasion de rire un peu de la tartufferie ridicule de tous ces pitres qui croient savoir ce qu’il faut penser alors qu’ils ne font que se coucher docilement devant l’époque.
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