Dans Libération, la philosophe Béatriz Préciado vient de publier une tribune appelant les Espagnols et tou(te)s les lecteurs/lectrices du monde à une prise de conscience féministe. Comme j’aime les philosophes, et puis surtout les femmes, je me suis mis à la lecture de l’article.
Il faut dire qu’elle commençait bien, sa tribune: « Enfermés dans la fiction individualiste néolibérale, nous vivons avec la croyance naïve que notre corps nous appartient, qu’il est notre propriété la plus intime, alors que la gestion de la plupart de nos organes est assurée par diverses instances gouvernementales ou économiques ». Je l’aurai signé des deux mains, et des deux pieds aussi, s’il l’avait fallu. Avec cette idée que par un malicieux tour de passe-passe, la société marchande nous fait croire que nos corps sont des meubles dont nous sommes propriétaires. Non, vraiment, cela commençait bien. Elle continue :
« Chaque femme porte en elle un laboratoire de l’Etat-nation, et c’est de sa gestion que dépend la pureté de l’ethnie nationale. » C’est ici que je la perds, la philosophe. Je croyais lire une critique actuelle de l’état marchand, et voilà que je me retrouve avec une froide synthèse d’histoire des idées politiques. Pourquoi remonte-t-elle aussi loin ? Car la théorie de l’Etat-nation, à strictement parler, est une doctrine de physique politique nous expliquant que les individus sont d’abord les fils d’une société à laquelle ils doivent tout. Pour dire vite, les sexes seraient encore arraisonnés par un mythe national. Cela sent la naphtaline. Or, que ne lis-je pas quelques lignes plus loin: il faudrait selon elle « décoloniser l’utérus ». Sapristi saucisse. On est en effet en pleine crise financière de 29, ou quelque chose dans le genre. L’utérus, qu’il fallait protéger coûte que coûte, devient selon les mots de la philosophe un terrain d’exploitation, un chantier en travaux, une propriété …
Mazette. Je comprends enfin qu’il s’agit d’avortement, comme c’était marqué en gros et gras dans le chapô. Dame Béatriz poursuit en livrant toute son analyse sur les arcanes et les ourdis du gouvernement espagnol, et ça m’intéresse :
« Le gouvernement Rajoy, proche des intégristes catholiques de l’Opus Dei et du cardinal Rouco Varela, entend aujourd’hui occuper le corps féminin comme lieu ultime où se joue, non seulement la reproduction nationale, mais aussi la définition de l’hégémonie masculine. » Encore de l’histoire. Une expression me chagrine Qu’emploie-t-elle, pour évoquer la procréation ? La notion de « reproduction nationale ». ? Je pensais que le terme de reproduction fût d’ordinaire attribué aux photocopieuses (cela lui permettra peut-être un jour de filer la métaphore du jet d’encre). Elle continue de s’adresser à nous(mais à ce moment-là, nous ne sommes plus un nous, seulement des vis et des écrous, des pistons qui tentons de nous ajuster par la force à des bielles) avec force vindicte :
« Ton utérus est un territoire de l’Etat, domaine fertile pour la souveraineté nationale catholique. Tu n’existes qu’en tant que mère. Ecarte les jambes, deviens terre d’insémination, reproduis l’Espagne. ».
Ici, je décroche totalement. Je crois me souvenir d’avoir séché les cours sur Ferdinand II d’Aragon et Isabelle de Castille. Son histoire de reconquête par l’entrecuisse me parle quand même un peu. Elle me ramène à un temps où la cohésion du royaume se faisait par l’étreinte charnelle. Mais Béatriz Préciado préfère la chimie et les laboratoires. Je poursuis : Depuis cette modeste tribune, j’invite tous les corps à faire la grève de l’utérus. Affirmons-nous en tant que citoyens entiers et non plus comme utérus reproductifs. Par l’abstinence et par l’homosexualité, mais aussi par la masturbation, la sodomie, le fétichisme, la coprophagie, la zoophilie… et l’avortement.
C’est Torquemada. Je ne suis pas contre une certaine ascèse, mais elle charrie sévère, la Béatriz. Souffrir comme st Benoît l’abstinence m’a toujours été présenté comme une grâce du Ciel, et je crois ne pas en bénéficier. Pour ce qui est de la masturbation, l’activité pourrait se montrer sauvagement exigeante à la longue : avec cette nécessité de forcer l’imagination, quand on pourrait étreindre un corps, un vrai. Mes réticences ne sont-elles pas légitimes ? Enfin , manger du caca, quand on vit à Paris, avec ces restaurants que borde l’île St Louis, qui s’allongent rue Mouffetard, quand ils ne vous jaillissent pas tout à coup d’une petite ruelle à la croisée du faubourg Montmartre… Non, vraiment, la coprophagie serait une loi plus dure que l’ascétisme monacal.
Avant de conclure, l’inquisitrice philosophe résume son programme en une sentence tout à fait charmante, ouverte sur la diversité et amie de l’Autre : « Ne laissons pas pénétrer dans nos vagins une seule goutte de sperme national catholique. » No passaran, les zizis. Fermez les cuisses, toutes. Et nous qui, amis de la liberté, nous étions préparés à une grande partouze… Décidément, ils ne sont vraiment pas drôles dans le camp d’en face.
*Photo : Chameleons Eye / Rex Fe/REX/SIPA. REX40233320_000044.
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