Accueil Société Faut-il canoniser Lu Xiabo ?

Faut-il canoniser Lu Xiabo ?


Faut-il canoniser Lu Xiabo ?

La fin de semaine approchait. Quelques ondées sur le nord de l’Europe, un souvenir de soleil estival sur les côtes du sud, le fond de l’air restait frais. Tandis qu’octobre s’apprêtait à prendre sa revanche, vint le moment de passer à l’attaque : partant de Norvège et gagnant le cœur de tant d’âmes nobles, la bonne nouvelle commença à se répandre le vendredi 8 octobre. Elle avait pour nom Liu Xiaobo. Et c’était juste trop beau. Tout est bien, assura alors, dans chacun de ses éditoriaux, l’Infatigable Défenseur des Droits de l’Homme, avant de prendre un repos amplement mérité.

Nous vivons dans un monde certes perfectible mais qui possède déjà de beaux îlots d’humanité. Quelques récalcitrants, avec qui nous entretenons cependant les meilleurs relations qui soient, ont encore de la peine à comprendre ce que sont les droits et ce que sont les hommes, mais nous espérons qu’en aimant plus que tout leurs jouets, leurs pulls et leurs nems, ils finissent par entendre raison. L’Infatigable Défenseur des Droits de l’Homme est le dernier saint qui nous reste. Peu porté sur l’ascèse et l’effacement, il est vrai, il s’indigne sans jamais faiblir, et court de tribunes en parvis, reprenant tout juste haleine dans les salles de presse et les réseaux sociaux, ses ermitages. Qu’il blogue ou qu’il twitte, il n’a de cesse de réclamer ou d’acclamer, et lorsqu’il apprend que celui qu’il considère comme l’un des siens est en bonne position, il s’empresse (pétitions, ultimatums, lâchers de ballons rouges ou blancs, marches dignes).

Citoyen du monde, consommateur transnational et transgenre

Nous nous sommes contentés, il y a vingt ans, de frémir en découvrant ce jeune homme seul devant un char, mais lui a acheté le poster. Savoir que Liu Xiabo est en prison pour « subversion » nous interroge, mais cela le galvanise. Ainsi tout n’est-il pas joué ! Ainsi est-il encore possible d’être dissident (par procuration, bien sûr, mais qu’importe le flacon), et de transformer le cliquetis de clavier indigné en intimidants roulements de mécaniques. Nous nous contentons, en montrant nos fesses, en nous coiffant à l’envers ou en nous tatouant Non ! sur le cœur, de faire réagir les rois du système, mais lui, l’Infatigable, enrage d’être un prisonnier au milieu de gardiens indifférents. Quand nous gagnons au mieux un strapontin dans un panel pour nous insurger en direct, avant de nous faire amicalement raisonner, lui cloue courageusement au pilori ceux qui ne savent ni ce que sont les droits ni ce que sont les hommes. Nous espérons chaleureusement qu’un jour, tout le monde pourra écouter la musique qu’il souhaite avec le partenaire de jeu qu’il désire, mais lui se bat pour que plus rien, jamais, ne vienne s’interposer entre les hommes, et que tout un chacun accède enfin au salutaire statut de « citoyen du monde », consommateur transnational et transgenre, averti et débonnaire. D’ailleurs, Liu Xiaobo ne se contente pas de réclamer plus de démocratie, il veut aussi dénationaliser les services publics et laisser les promoteurs faire leur boulot ; pour cela aussi, pour son opposition à l’infâme patriotisme économique chinois, il doit être décoré (la sanctification n’aura lieu que dans un second temps).

Nous nous limitons à vouloir plus de McDo à Pékin, et plus de blogs Cuisine aussi, mais l’Infatigable défenseur des droits de l’homme voit plus loin : il voudrait que la Chine soit comme Hong-Kong, un pays enfin libéré. Allez faire comprendre cela à des tortionnaires !



Vous venez de lire un article en accès libre.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !

Article précédent Eloge de l’anecdotique
Article suivant Attali : think sans tank
Ludovic Maubreuil est né en mai 1968. Hôte de diverses revues (Eléments, La Revue du Cinéma, Le Magazine des Livres), il collabore en outre au site collectif Kinok (www.kinok.fr). Il est l'auteur de Bréviaire de cinéphilie dissidente (Alexipharmaque, 2009)

RÉAGISSEZ À CET ARTICLE

Pour laisser un commentaire sur un article, nous vous invitons à créer un compte Disqus ci-dessous (bouton S'identifier) ou à vous connecter avec votre compte existant.
Une tenue correcte est exigée. Soyez courtois et évitez le hors sujet.
Notre charte de modération