Une nouvelle production des Fausses confidences, de Marivaux, vient de débuter au Théâtre de Carouge, à Genève, avant une tournée de plusieurs mois en France. La mise en scène d’Alain Françon et la plupart des comédiens sont remarquables, mais l’ensemble peine à séduire.
Un décor élégant mais simple, presqu’effacé, multipliant à l’envi les ouvertures entre scène et coulisses, et fait tout exprès pour favoriser l’avalanche des entrées et des sorties des protagonistes : assurément, la mise-en-scène des Fausses confidences semble être une translation dans l’espace de la vivacité, de la fluidité de la langue, de l’ivresse verbale de Marivaux et des rebondissements de la comédie. Tout cela étant composé en une partition diaboliquement volubile que l’orchestre d’acteurs réunis par Alain Françon exécute en virtuose.
Son pouvoir de démiurge
De cette éblouissante symphonie de sentiments cachés, de non-dits, d’ambitions contradictoires, de désirs inavoués, de fausses confidences où l’écriture de Marivaux égale celle de Mozart, on sort un peu étourdi, mais sans l’ivresse, hélas ! ressentie dans ce même Théâtre de Carouge, aux portes de Genève, lorsqu’Alain Françon y avait mis en scène Le Misanthrope avec un génie du théâtre éblouissant.
On espérait avec Les Fausses confidences un nouvel émerveillement. On s’est retrouvé quelque peu désenchanté. Certes, le spectacle est de belle facture. Mais du metteur en scène de La Trilogie de la villégiature ou de La Locandiera, on attendait un nouveau miracle. Et il n’est pas survenu, comme si cet homme qui est un formidable directeur d’acteurs avait abdiqué de son pouvoir de démiurge.
Avec un tel aplomb
Bien évidemment, avec une voix métallique et tranchante, Dominique Valadié est magnifique dans le rôle de Madame Argante. Que pourrait-elle d’ailleurs être d’autre ? Vêtue de noir avec une élégance certaine, et une imperceptible raideur dans sa démarche qui trahit la dureté de son personnage, elle l’impose avec un tel aplomb, une telle sûreté, une telle intransigeance, qu’on ne pourrait l’imaginer autrement que sous l’aspect qu’elle en propose. Avec elle, Gilles Privat, en valet Dubois un peu inquiétant et terriblement manipulateur, est l’autre grande figure de la production. À qui s’ajoutent le charme de Zerline, l’esprit de Suzanne, incarnés par la délicieuse Yasmina Remil qui prend la figure de Marton, la jeune dame de compagnie de l’héroïne de la pièce. Comme dans un inventaire, on leur adjoindra le Lubin gauche et naïf de Séraphin Rousseau et le chaleureux et tonitruant Monsieur Rémy de Guillaume Levêque.
Cela pêche en revanche quelque peu du côté de Pierre-François Garel, interprétant Dorante, le soupirant transi. Derrière une figure assez avantageuse, il y a en lui quelque chose d’inconsistant, d’insaisissable, comme s’il était étranger à son personnage, comme s’il n’avait pas su tirer le meilleur de lui-même. Avec un Alexandre Ruby en grand seigneur de comédie à la voix forte, mais lui-même un peu pâle, ces deux figures masculines des Fausses confidences manquent quelque peu d’étoffe. Eh bien involontairement, sans doute, vous laissent sur votre faim.
Un léger malaise
Cependant c’est avant tout de l’Araminte de Georgia Scalliet que naît le malaise. Non pas qu’elle ne soit une bonne comédienne. Une brève scène de colère où elle apparaît brusquement elle-même la dévoile tout à fait remarquable. Mais comme tant d’actrices de sa génération, telles qu’on les découvre par exemple aujourd’hui sur la scène de la Comédie Française où elle se produisit de 2009 à 2020, elle affecte une manière de jouer qui décrédibilise son personnage. D’ailleurs, elle ne joue pas véritablement, elle ne s’incarne pas dans Araminte. Avec un ton qui donne à penser qu’elle serait en train de lire et de méditer un texte qu’elle possède parfaitement, elle semble prendre bien soin de n’y pas toucher, de le survoler avec un je-ne-sais-quoi de neutre et de détaché. Comme si elle tenait à faire savoir qu’elle n’est nullement le personnage qu’elle représente sur scène, mais bien une actrice s’appliquant à servir avec quelque distance le texte de Marivaux. Cet arrière-goût d’inachevé produit un jeu (un non-jeu comme on affiche de la non-danse) qui évidemment ne parvient jamais à convaincre. Et on a peine à comprendre qu’un directeur d’acteur aussi exigeant, subtil et profond que Françon, celui d’Avant la retraite de Thomas Bernhard, du Misanthrope ou de La Seconde surprise de l’amour, ne se soit pas attaché à imposer à ses comédiens plus d’authenticité, de présence et de force.
Cette réalisation du Théâtre des Nuages de neige, coproduite une nouvelle fois par le Théâtre de Carouge, par le Théâtre des Célestins à Lyon et par le Théâtre Montansier de Versailles va parcourir la France. Une fois encore, il est probable que le spectacle va, avec le temps, prendre de l’assurance et de l’ampleur. Et sans doute les spectateurs futurs y trouveront-ils plus de satisfaction. À Genève, où les salles du théâtre sont combles, le public ménage un accueil chaleureux à ces Fausses confidences au goût d’inachevé.
Prochaines représentations
Jusqu’au 19 octobre 2024 : Théâtre de Carouge, à Genève
Les 30 et 31 octobre : Théâtre Equilibre, à Fribourg
Du 6 au 17 novembre : Théâtre des Célestins, à Lyon
Du 23 nov. au 21 décembre : Théâtre des Amandiers de Nanterre
Du 8 au 10 janvier 2025 : Théâtre de l’Empreinte, à Brive
Les 15 et 16 janvier : Scène nationale, à Albi
Du 22 au 26 janvier : Théâtre Montansier, à Versailles
Les 30 et 31 janvier : Opéra de Massy
Du 5 au 8 février : Théâtre national de Nice
Les 12 et 13 février : Théâtre Saint-Louis, à Pau
Les 25 et 26 février : Maison de la Culture d’Amiens
Du 4 au 6 mars : Le Quai, à Angers
Du 18 au 21 mars : Théâtre du Jeu de Paume, à Aix-en-Provence
Du 25 au 29 mars : Théâtre de Caen
Du 2 au 5 avril : Théâtre d’Annecy
Du 8 au 11 avril : Comédie de Saint-Etienne