Jean Massiet est un trop bon vulgarisateur politique pour tendre le micro aux responsables politiques qui lui déplaisent.
« Tout le monde est bienvenu chez Jean Massiet, sauf l’extrême-droite ? » demande Anne-Elisabeth Lemoine à son invité sur C à Vous, l’émission phare de France 5, le lundi 10 avril [1]. En effet, Jean Massiet n’invitera ni Éric Zemmour ni Marine Le Pen sur sa chaine, car il refuse « le jeu qui consiste à renvoyer dos à dos des camps en se disant que notre paysage politique est fait d’un ensemble d’options politiques qui se valent les unes les autres ».
Le streamer, figure intellectuelle incontournable en 2023
Streamer de profession, Massiet, 34 ans, commente l’actualité en direct sur Twitch, une plateforme qui permet de réaliser des vidéos et de les diffuser instantanément. À l’origine, elle concernait plutôt les jeux vidéos: tout un chacun diffusait sa partie en ligne et interagissait dans un chat avec les spectateurs. Depuis, certains utilisateurs en ont fait un moyen économique permettant de lancer sa propre web télé, avec un simple ordinateur doté d’une webcam et d’un micro. Jean Massiet a pu acquérir une notoriété numérique par ce moyen, en commentant en direct certains évènements. Désormais reconnu, il a également assuré une chronique sur France Inter, depuis 2020. Selon France info, son activité lui permet actuellement d’employer trois personnes.
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Aussi, sa voix compte ! Du moins en est-il convaincu. En tant que streamer, il aurait une responsabilité particulière à donner de l’audience à tel ou tel responsable politique. Dans un texte fameux, Jean-Paul Sartre s’interrogeait déjà sur la responsabilité des intellectuels, reprochant à Flaubert d’être aussi coupable que Thiers de la répression de la Commune pour ne pas avoir écrit une seule ligne pour la dénoncer… Mais, l’autorité prestigieuse de l’intellectuel bien installé dans son université ou derrière ses livres a mal résisté à l’essor des médias de masse, audiovisuels ou radiophoniques. À partir des années 1960, la nouvelle figure de référence est plutôt journalistique: ce sont les éditorialistes (Jean Daniel, Jean-Jacques Servan-Schreiber, Franz Olivier Giesbert…). Et avec le tout numérique et l’essor des réseaux sociaux, les streamers qui s’enquièrent de leurs devoirs seraient-ils donc devenus la nouvelle autorité intellectuelle ?
Zemmour et Le Pen pas invités à jouer avec leurs petits camarades
Jean Massiet pense qu’inviter des responsables du Rassemblement national ou de Reconquête à discuter devant une webcam leur offrirait une tribune inespérée. Ça se discute. La parole du streamer compte sans doute pour l’instant un peu moins dans l’espace public qu’il ne le pense. Beaucoup de téléspectateurs ont en réalité probablement découvert son existence en direct… mais sur France 5 ! Et d’ailleurs, peu d’hommes politiques, et certainement pas ceux suscités, ne viennent mendier ses invitations. Deux députés lui avaient offert cette complaisance: sur la chaine de Jean Massiet, Ugo Bernalicis de la France Insoumise et Denis Masséglia pour la majorité s’étaient affrontés lors d’une partie de « League of legends », jeu d’affrontements virtuels où l’on incarne une armée de mercenaires… Sans doute pour la plus grande gloire du politique.
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Et si l’on inversait un instant la perspective: les responsables politiques doivent-ils forcément se donner le ridicule d’être passés à la question sur ce type de support ? Et si les plus sérieux d’entre eux, par égards pour leur fonction, ne préféraient pas boycotter directement les boycotteurs ?
[1] https://www.youtube.com/watch?v=CpWtFfAz8Co
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