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La graisse, le nouveau combat du wokisme

Ces militants qui partent en lutte contre la "grossophobie"...


La graisse, le nouveau combat du wokisme
Marilyn Wann (à droite), militante pour "l'acceptation des gros" et pionnière dans le champs des fat Studies, lors d'un rassemblement contre la discrimination fondée sur le poids, New York, 4 août 2004 © Stephanie Keith / Sipa Press

Les universités anglo-saxonnes ont trouvé les nouvelles victimes du racisme hétéro-patriarcal : les gros. Alors que l’obésité est une épidémie mondiale alarmante, les bien-pensants accusent les minces et la médecine de défendre un « idéal de beauté suprémaciste blanc ». Un combat qui leur ouvre l’appétit.


Après le séparatisme ethnique et genré pratiqué par les antiracistes de #BLM et les néoféministes post-#Metoo, avec leurs réunions non mixtes interdites aux hommes cisgenres blancs, voilà une nouvelle forme de séparatisme fondée sur le poids. Le collectif militant « queer et féministe », Gras Politique, propose des séances de yoga, rebaptisées « Yogras », destinées en priorité aux personnes au tour de taille XXXL, ainsi que des réunions « en non-mixité grosse » pour libérer la parole des victimes des « oppressions grossophobes systémiques ». Leur combat majeur : dénoncer la « grossophobie médicale ». Pour se soigner sans en être victime, il faut aller sur le site de l’association qui dresse la liste des médecins safe, c’est-à-dire « éthiques et non grossophobes » et celle des médecins non safe, c’est-à-dire ceux qui ont exprimé des « comportements ou des maltraitances grossophobes ». Ce clivage entre grossophiles et grossophobes est élaboré par les membres de la communauté qui, tels des Fouquier-Tinville de la graisse, jugent les médecins non pas en fonction de critères médicaux objectifs, mais selon leurs expériences subjectives.

Encore une folie qui a traversé l’Atlantique

Ce collectif a pleinement intégré l’idéologie des « fat studies », développée sur les campus anglo-saxons. Dans leur essai, Le Triomphe des impostures intellectuelles, Helen Pluckrose et James Lindsay expliquent que ce champ d’études a été, comme tant d’autres, enfanté par le postmodernisme foucaldien, qui analyse la société en termes de relations de pouvoir et de domination imposées au bénéfice du privilège blanc, hétéro-patriarcal, capitaliste. Imprégnées par ce métarécit, les fat studies prétendent que l’obésité n’est pas une affaire de malbouffe ou de surplus calorique, mais de construction sociale. L’obésité serait surtout le produit d’une grossophobie structurelle, inhérente à la société occidentale et diffusée par la connaissance scientifique. Dès lors, lutter contre « l’épidémie d’obésité » comme le préconise l’OMS est grossophobe. En 2018, l’association caritative britannique Cancer Research a été accusée de « fat-shaming » après avoir déclaré que l’obésité était responsable de plusieurs cancers. Or, l’obésité se développe avec une rapidité alarmante, puisqu’elle touche aujourd’hui 17 % d’adultes contre 8,2 % il y a 25 ans [1]. Pourtant, les épigones des fat studies voudraient que l’épidémie la plus urgente à combattre soit celle de la grossophobie systémique. Selon une technique bien rôdée, ce combat passe par le langage : pour invisibiliser les maux, effaçons le mot. Afin de décorréler l’obésité des risques de maladies graves (cancers, diabète, maladies cardiaques, arthrose avancée, Covid…), il faut rendre infâme le terme même d’« obésité » qui est remplacé par le qualificatif fat, « gros ». De même que le nouvel antiracisme utilise le mot « race » sous le néologisme revendiqué de « racisé » pour s’autoproclamer victime de racisme, les fat studies se réapproprient « fat » pour inverser le stigmate et le politiser. De là, découle le fat activism, un militantisme des graisses qui prétend évangéliser et rééduquer les consciences.

Encore une façon de déconstruire la société occidentale

Apparu dans les années 1970 avec la création de la cellule activiste le Fat Underground, qui a lancé des slogans antisciences, tels que « les médecins sont l’ennemi » ou « la perte de poids est un génocide », le fat activism prend un nouvel élan avec le wokisme. Marilyn Wann, célèbre pour avoir fait adopter des lois anti-discrimination liées au poids à San Francisco, incarne un militantisme qui tire sa radicalité des luttes intersectionnelles. Le ton est donné dans sa préface au Fat Studies Reader, où la graisse est définie comme une catégorie d’oppression au même titre que la race, la classe, le genre ou l’orientation sexuelle [2]. Le même créneau est pleinement exploité par Sabrina Strings, professeure de sociologie à l’université de Californie, pour qui la minceur, par nature raciste, a été utilisée pour différencier les corps noirs des corps blancs ; il faut donc « décoloniser la graisse [3] ».

C’est ainsi que, dans plusieurs universités américaines, les étudiants doivent sonder leurs biais antigros grâce à un « test d’association implicite » créé par des chercheurs d’Harvard. Autrement dit, il ne suffit pas de ne pas être grossophobe, mais il faut confesser sa grossophobie inconsciente. La machine à inverser les rôles fonctionne à plein régime ! Ce ne sont pas les gros qui devraient revoir leur alimentation et leur mode de vie, mais les minces qui doivent examiner leurs consciences pour débusquer leurs préjugés grossophobes. Le chemin de la rédemption est d’autant plus ardu pour les minces qui affichent un autre péché, la blancheur de leur peau. Invitée à l’université du Vermont, Sonalee Rashatwar, très influente sexologue et instagrammeuse connue sous le pseudo « The Fat Sex Therapist », a martelé que « la minceur était un idéal de beauté suprémaciste blanc », tout en appelant à détruire les balances comme acte ultime d’éveil à la grossophobie systémique de la société blanche patriarcale. Que pensent les Afro-Américains minces de cette racialisation de la graisse ? Ont-ils « intériorisé » le privilège blanc ? Faut-il être obèse pour être digne de son identité noire ? Qu’en est-il des obèses qui se mettent au régime et au sport, non pas par soumission aux dictats esthétiques de la minceur, mais par nécessité médicale ? Ont-ils « intériorisé » la grossophobie au lieu de la déconstruire ? On peut facilement imaginer qu’un jour les temples universitaires de l’idéologie woke organiseront des séances d’autoflagellation où les étudiants minces devront s’excuser pour leur minceur, devenue le nouveau privilège à combattre, en participant à un concours de mangeurs de burgers.

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[1] Selon une enquête de la Ligue contre l’obésité conduite en 2020, avant donc la crise sanitaire.

[2] Esther Rothblum, Sondra Solovay, The Fat Studies Reader, NYU Press, 2009.

[3] Voir son Fearing the Black Body: The Racial Origins of Fat Phobia, NYU Press, 2019.

Septembre 2022 - Causeur #104

Article extrait du Magazine Causeur




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