Il y a peu, j’ai donné en dissertation une remarque lancée par Roland Barthes lors de son cours inaugural au Collège de France, en janvier 1977 — une remarque qui a fait couler beaucoup d’encre et proférer nombre de bêtises sentencieuses. Je vous la livre comme elle a été formulée :
La langue, comme performance de tout langage, n’est ni réactionnaire, ni progressiste ; elle est tout simplement : fasciste ; car le fascisme, ce n’est pas d’empêcher de dire, c’est d’obliger à dire.
Il suffit d’écouter les 5’50 » minutes qui précèdent cette déclaration d’évidence pour comprendre que Barthes se référait à la structure — grammaticale, syntaxique, phonologique — de la langue, qui, dit-il très bien, nous interdit par exemple le neutre, en français, et nous oblige à choisir sans cesse entre « tu » et « vous ».
Rien à voir a priori avec le fascisme au sens historique, qui s’exerçait sur le sens, comme l’a magistralement montré Victor Klemperer, patient observateur des glissements sémantiques que le Tertium Imperium imposa peu à peu à l’allemand des années 1930.
Paré des oripeaux de la démocratie
D’ailleurs, fascisme, hitlérisme, salazarisme, stalinisme, maoïsme, nous en avons fini aujourd’hui avec ces grandes perversions du XXème siècle, n’est-ce pas… Nous sommes tous démocrates… Big Brother, c’est de l’histoire ancienne…
Et d’ailleurs, ce « fascisme » de la langue, la littérature n’est-elle pas là pour le subvertir ? C’est le sens de la conclusion de l’éminent sémiologue. Si « dans la langue, donc, servilité et pouvoir se confondent inéluctablement » ; si « l’on appelle liberté, non seulement la puissance de se soustraire au pouvoir, mais aussi et surtout celle de ne soumettre personne », alors « il ne peut donc y avoir de liberté que hors du langage ». Mais d’ajouter aussitôt : « Malheureusement, le langage humain est sans extérieur : c’est un huis clos. » N’y échappent qu’Abraham, qui cesse de discourir et part sacrifier son fils (« un acte inouï, vide de toute parole »), et Zarathoustra — mais bon, nous ne sommes ni des prophètes, ni des surhommes.
Reste donc la possibilité de « tricher » avec la langue : « Cette tricherie salutaire, cette esquive, ce leurre magnifique, qui permet d’entendre la langue hors-pouvoir, dans la splendeur d’une révolution permanente du langage, je l’appelle pour ma part : littérature. »
Mais ça, c’était avant. Avant que le fascisme ne soit assuré par la bien-pensance et le politiquement correct, via les groupes de pression, les « communautés », les sectes, et ne s’exerce justement sur la littérature — et les arts, et l’Histoire, et le reste : le vrai totalitarisme a débarqué insidieusement, paré des oripeaux de la démocratie.
Un bon fascisme doit être préventif
Dans le Figaro du 9 juin, Mohamed Aïssaoui raconte avec un léger effarement l’arrivée dans la littérature des contrôleurs de pensée unique. Baptisés « sensitivity readers » aux Etats-Unis, relayés par le « bad buzz » des réseaux sociaux qui vous défont un livre en dix secondes et deux mille tweets, ils ont pour fonction d’épurer a priori, avant toute publication, les manuscrits qui arrivent chez les éditeurs. Du coup, les auteurs s’auto-censurent à la base. Un bon fascisme doit être préventif.
Cette manie des ciseaux ne concerne pas seulement les livres à venir : elle s’en prend à…
>>> Lisez la suite de l’article sur le blog de Jean-Paul Brighelli <<<
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