Nous étions quatre amis ce soir-là dans mon restaurant japonais favori : un producteur de cinéma, un écrivain américain, un philosophe réputé pour son antiféminisme et moi-même. Très vite, deux flacons de saké avaient suffi, la conversation en vint à l’affaire Weinstein, l’homme qu’il convenait de haïr pour son comportement libidineux à l’endroit des actrices et sa grossièreté. Accusé de viol et de harcèlement sexuel, il était poursuivi par des meutes de femelles outragées. « Décidément, fit spirituellement observer le philosophe, cela va faire une sacrée concurrence à madame Angot. C’est comme si elle se retrouvait à un bal avec des centaines de femmes portant la même robe qu’elle. »
Œdipe is back
L’écrivain américain, lui, était fasciné par la personnalité de Ronan Farrow, un jeune génie, prétendait-il, qui était le fils de l’actrice Mia Farrow et de Woody Allen. C’est lui qui avait fait éclater la bombe Weinstein dans The New Yorker, après des mois d’enquête. C’est lui aussi qui avait accusé son père d’attouchements sexuels sur sa sœur, la petite Dylan, alors âgée de 7 ans. « Ce jeune homme, avait poursuivi l’écrivain américain, a de la suite dans les idées, d’autant que Weinstein est un des producteurs de Woody Allen et son ami. » Il est vrai que la réaction de Woody Allen se bornant à dire que c’est une bien triste histoire ne l’avait pas grandi aux yeux de son fils, animé par une forme de Némésis qui lui donne une énergie incroyable. Bref, Œdipe is back.
Louise Brooks disait…
Quant au producteur de cinéma, il ne décolérait pas. « Comment des petites connes peuvent-elles aller seules la nuit dans la chambre d’un homme sans se douter de ce qui va leur arriver ? Après avoir perdu leur virginité, elles voudront retrouver leur dignité… laissez-moi rire et ne pas être dupe de ces stratagèmes infantiles. » Je lui rappelais ce que Louise Brooks m’avait confié : les filles qui veulent faire du cinéma sont soit des putes, soit des folles. Et le plus souvent les deux. Il approuva. Je me souvenais d’ailleurs de Claude Chabrol – j’étais alors critique de cinéma – me montrant des centaines de photos de femmes nues lui proposant de tourner dans ses films. Au dos, il y avait leur nom et leur numéro de téléphone. Généreux, il m’avait dit : « Prends celles qui te plaisent ! »
Le saké ayant assoupi le philosophe, il risqua une hypothèse farfelue : « Et si tout cela n’était qu’un coup monté à grande échelle pour dissimuler ce qui se passe réellement et qui est le véritable danger : l’islamisation de l’Europe ? » Nous nous regardâmes consternés. En revanche, l’écrivain américain fit pertinemment observer que des scandales de ce genre, il s’en produisait toutes les semaines à Bollywood, ou à Nollywood, au Nigeria, et que personne n’y prêtait la moindre attention.
« Je veux des femmes chimériques ! »
La suprématie d’Hollywood demeurait incontestable et les scandales qui s’y produisaient ne comptaient pas pour peu dans son hégémonie. Ils étaient simplement l’envers du rêve américain et se passer d’eux, ne pas les monter en épingle, serait suicidaire. Après tout, le film fondateur du cinéma américain, Naissance d’une nation, tourné par Griffith – grand amateur de nymphettes – est à la gloire du Ku Klux Klan. Et son assistant, Mack Sennet, un illettré de génie qui forma Chaplin, le répétait volontiers : « Personne de sérieux ne s’embarque dans l’aventure cinématographique, comme aucun bourgeois sérieux ne s’était embarqué avec Colomb pour aller découvrir les Amériques, mais uniquement des aventuriers un peu fous et chimériques. » Notre philosophe se leva alors pour clamer : « Je veux des femmes chimériques ! » Puis, il sombra dans un coma éthylique qui devait ressembler au film d’Ida Lupino, tourné en 1950, qui avait pour titre Outrageous et qui dénonçait déjà les viols de jeunes actrices éméchées à Hollywood. En dépit du talent d’Ida Lupino, ce fut un bide. L’indignation morale a sa place dans les lieux de culte, pas dans les salles obscures. Et les actrices qui feignent de ne pas savoir à quoi elles s’engagent méritent l’Oscar de l’hypocrisie.
La Bible des scandales hollywoodiens cartonne
De retour chez moi, Marie m’apprend que la Bible des scandales hollywoodiens, Hollywood Babylone de Kenneth Anger, est en tête des ventes sur Amazon. Et indisponible avant quinze jours. Heureusement, il m’en reste un exemplaire. Je passe la nuit ou ce qu’il en reste à le relire. J’y retrouve Roscoe Arbuckle, dit Fatty, un aide-plombier découvert par Mack Sennet en 1913 quand il était venu déboucher une conduite d’évacuation chez le producteur. Il fit une carrière d’acteur et de producteur prodigieuse avant d’être accusé de viol. Seul Buster Keaton lui demeura fidèle. J’y retrouve Erich von Stroheim et ses orgies viennoises, Frances Farmer vendue par des psychiatres à des marins, Gene Tierney et tant d’autres. J’y retrouve aussi cette phrase de Kenneth Anger inspirée par Chaplin : « Le propre du génie consiste souvent en une capacité infinie à survivre. »
Lolita go home!
Chaplin nous ramène évidemment aux lolitas. Car la véritable toile de fond, le milieu naturel d’expression et d’existence de la nymphette est évidemment le cinéma. À Hollywood, les lolitas sont ces jeunes filles, aspirantes actrices, starlettes, bébés catins, beautés de pacotille, poupées de cire ou de chiffon prêtes à tout pour apparaître à l’écran. Après tout, n’est-ce pas le rôle même de toute actrice que de vendre son corps et son sex-appeal à la caméra, qu’elle tourne ou non ? À Hollywood, les mères ne sont jamais loin. Quand un scandale éclate, impliquant une de ces lolitas et un homme bien plus âgé (Chaplin, Errol Flynn ou Polanski), on les retrouve au tribunal, outragées ; elles qui avaient auparavant veillé à ce que chaque parcelle du corps de leur petite poupée trouve son acheteur à bon prix.
Une dernière question me taraudait avant de trouver le sommeil : « Peu importe qui a séduit qui. Mais celui ou celle qui apparaît comme le plus faible, est-il suffisamment armé pour jouer contre le plus fort ? » Je laisse à chacun le soin d’y répondre, mais je serais enclin à penser que la distribution de ces deux rôles n’est pas toujours celle qu’on imagine.
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