La menace de fermeture des comptes de l’ancien fondateur de l’UKIP, Nigel Farage, par la banque Coutts – traditionnellement celle de la haute société – en juin, a provoqué un émoi national en Grande-Bretagne. L’accès aux services bancaires dépendrait, pour certaines personnalités publiques, des opinions qu’elles expriment. Il y va de la liberté d’expression dans une démocratie. Retour sur un mois et demi de feuilleton rocambolesque.
Tout commence le 30 juin 2023, quand Nigel Farage révèle sur son compte Twitter – « X » désormais – que ses comptes bancaires sont en cours de fermeture et accuse sa banque – sans la nommer – de « tenter de le forcer à quitter le Royaume-Uni […]. On ne m’a donné aucune explication pour la fermeture de mes comptes bancaires ». Une accusation à laquelle personne ou presque n’a prêté attention au départ. « C’est une persécution politique sérieuse au plus haut niveau de notre système. S’ils peuvent me faire ça à moi, ils peuvent vous le faire à vous aussi » a encore dénoncé l’homme du Brexit dans une vidéo postée sur Twitter. « J’ai demandé pourquoi [la banque allait fermer mes comptes] et aucune raison ne me fut donnée. L’on m’a dit qu’une lettre viendrait expliquant tout. La lettre arriva indiquant simplement que « nous fermons vos comptes et voudrions avoir terminé l’opération à telle date » ». Quelques semaines plus tard, Farage a révélé que la banque Coutts, prestigieuse filiale du groupe NatWest – dont le gouvernement est l’actionnaire majoritaire – était la banque en question, alors qu’il en est le fidèle client depuis 1980.
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Fake news
La BBC, dont l’impartialité traditionnelle est aujourd’hui contestée, fut la première à révéler les prétendues raisons de la fermeture des comptes de Nigel Farage : il ne répondrait plus aux exigences financières de la banque Coutts, qui exige de placer 1 million de livres au moins pour pouvoir accéder à ses services. « Faux ! » a répondu l’homme politique, qui réussit, le 24 juillet, à obtenir des excuses de la part de la banque pour la fake news qu’elle a relayée par la chaîne d’info la plus prestigieuse du Royaume Uni. D’où est donc venue cette information, diffusée pour la première fois par le journaliste business de la BBC, Simon Jack ? Dans son message d’excuses sur Twitter, le journaliste a assuré qu’elle provenait « d’une source sûre et haut placée ». Le 24 juillet, tout le pays apprend que la source n’était autre que la PDG du groupe NatWest, Dame Alison Rose, qui aurait dévoilé cette information lors d’un dîner où elle était attablée avec … Simon Jack, le 20 juillet précédent. Un nouveau rebondissement qui a provoqué la démission de la PDG, cinq jours plus tard, après qu’elle a reconnu avoir commis « de sérieuses erreurs de jugement ».
Charte « inclusive » et guerre idéologique
Mais quelle était donc la véritable raison de la fermeture des comptes de Nigel Farage ? Eh bien, pour incroyable que cela puisse paraître, c’est parce que ses opinions ne correspondaient pas à la « ligne éthique » de la banque. Un argument qui n’a aucune valeur légale, comme on s’en doute. L’ex-fondateur de l’UKIP en fut informé, fin juillet, via un rapport de 40 pages, dans lequel fut repris des tweets et des déclarations de l’homme politique, pour alimenter les motifs de sa cancellation par sa banque. Une exclusion qui n’était « pas politique […] mais centrée sur la question de l’inclusivité », précise le rapport, digne d’un arrêt de cour d’assises. Parmi les multiples griefs qui lui sont imputés, la banque a souligné, entre autres, son « absence de soutien au mariage pour les couples de même sexe » en 2014, ou encore son positionnement « pro-russe ou pro-Poutine ». En effet, « même à la suite de l’invasion, il n’a pas critiqué Poutine, mais a critiqué l’Union européenne et l’OTAN ». Parmi d’autres crimes impardonnables : Farage aurait tenu des propos climatosceptiques et antivax. Difficile d’y voir autre chose qu’une tentative de censure de l’homme politique dont les opinions déplaisent effectivement à la direction de Coutts. Après l’explosion du scandale, Nigel Farage a reçu le soutien de nombreux conservateurs, dont le Premier ministre, Rishi Sunak, qui a estimé dans un tweet à propos de la fermeture du compte de Farage : « C’est injuste. Personne ne devrait se voir refuser l’accès aux services de base pour ses opinions politiques. La liberté est la pierre angulaire de notre démocratie. »
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Désormais, Farage s’est lancé dans une campagne AccountsClosed.org, destinée à aider toute personne qui se retrouve « dé-banquée » (de-banked) à cause de ses opinions politiques ou ses liens avec des personnalités dites « politiquement exposées », c’est-à-dire susceptibles d’être corrompues ou de faire l’objet d’opérations de chantage. Le Chancelier de l’Échiquier, Jeremy Hunt, a écrit au régulateur financier britannique, la Financial Conduct Authority (FCA), en lui demandant d’infliger aux banques de fortes amendes si elles refusent l’accès à leurs services pour des motifs politiques. Le scandale a révélé plusieurs autres cas de personnalités qui se sont vues refuser l’ouverture de comptes bancaires du fait de leur statut de « personnalité politique exposée », dont le chancelier lui-même. La FCA exige désormais que les banques lui communiquent les motifs de fermeture des comptes de leurs clients. Si l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (APCR) faisait de même en France, sans doute aurions-nous aussi des surprises…
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