« Il y a des héros en bien comme en mal », remarquait La Rochefoucauld dans ses Maximes. Fantômas, génie du mal protéiforme, en est la parfaite illustration. Cent ans après sa naissance, la créature de Marcel Souvestre et Pierre Allain voit ses aventures rééditées. Souvestre, mondain, avocat mais aussi garagiste et journaliste à L’Auto, y embaucha Allain, fils de médecin renié par sa famille parce qu’il voulait devenir… journaliste ![access capability= »lire_inedits »]
Et, après la rédaction de 32 aventures écrites à quatre mains, à la mort de Pierre Souvestre, Allain épousa sa femme pour continuer seul le feuilleton. Si nous donnons ces précisions biographiques, c’est qu’elles apportent un éclairage indirect sur la spécificité de Fantômas. Si Fantômas fascine, dans la société encore cloisonnée de cette France d’avant la guerre de 14, c’est parce qu’il évolue dans tous les milieux, utilise les machines les plus modernes comme l’automobile, se déguise des manières les plus surprenantes, se fait le prestidigitateur de son propre corps, bref parce qu’il est proprement insaisissable. Et puis, bien entendu, il y a le thème du double, omniprésent dans ses aventures. Thème aussi subversif que romanesque, surtout dans l’ultime épisode, quand on découvre avec l’inspecteur Juve, ennemi juré du criminel, que celui-ci n’est autre que son frère jumeau. Encore une fois, le bien et le mal, ici, se ressemblent dangereusement, jusqu’à se confondre.
Divertissement, bien sûr. Pourtant, derrière les péripéties joyeusement aberrantes de Fantômas se cache une représentation inquiète du monde, comme si une obscure prescience du carnage à venir courait d’une page l’autre. Il est question du naufrage du Titanic en 1912, événement dans lequel Jünger voyait la naissance du XXe siècle. Pour Cendrars, Fantômas était carrément « L’Énéide des temps modernes », Apollinaire y lut « un extraordinaire roman fleuve plein de vie et d’imagination », tandis que les surréalistes s’emparaient de cette mythologie contemporaine qui refusait l’ordre établi dans une atmosphère étrangement onirique. Robert Desnos écrivit même une célèbre Complainte de Fantômas − « Écoutez… Faites silence… / La triste énumération / De tous les forfaits sans nom, / Des tortures, des violences / Toujours impunis, hélas ! / Du criminel Fantômas »
− mise en musique par Kurt Weill. Fantômas sait d’emblée s’emparer de tous les médias de son temps pour se faire connaître.
Il apparaît d’abord dans des fascicules vendus 65 centimes, type roman-feuilleton, qui atteignent des tirages faramineux. Puis, très vite, ses aventures sont mises en scène dans les films de Louis Feuillade. Il reste, encore aujourd’hui, malgré son côté vintage, une figure de ralliement pour tous les amants du négatif, comme le furent les situationnistes et leur parolier, un certain Guy Debord :
Une explosion fantastique
N’en a pas laissé une brique.
On crut qu’c’était Fantômas,
Mais c’était la lutte des classes.[/access]
Pierre Souvestre et Marcel Allain, Fantômas, tomes 1 et 2, Bouquins/ Robert Laffont.
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