Défense et illustration de la Fantasy


Défense et illustration de la Fantasy

gagner la guerre

On court bien trop souvent et bien trop rapidement derrière un prix Goncourt à la recherche d’une prose originale. C’est oublier, hélas, que la littérature de genre comme la Fantasy est elle aussi, et parfois de manière plus audacieuse, le lieu d’expérimentations passionnantes. Connaissez-vous Jean-Philippe Jaworski? Il est l’auteur, entre autres, d’un recueil de nouvelles, Janua Vera[1.  J-P. JAWORSKI, Janua Vera, Folio S-F, 2008 ]  et de deux romans Gagner la guerre[2. J-P. JAWORSKI, Gagner la guerre, Folio S-F, 2009] et Même pas Mort[3. J-P. JAWORSKI, Même pas mort, les moutons électriques, 2013.] , tous récompensés par plusieurs prix. Surprenant par sa noirceur et sa profondeur, Juana Vera lève la herse sur un monde cassé et bigarré. Un véritablvoquant les fantômes de Gustave Doré, du haut Moyen-Âge et des complots vineux de le Renaissance. Gagner la guerre poursuit l’histoire folle d’un protagoniste déjà présent dans une des nouvelles de Janua Vera, un assassin nommé Benvenuto.

Très sensible à la peinture et particulièrement cultivé, ce tueur sévit dans une ville, Ciudalia, où l’art fleurit aussi bien que les coups de dague. Benevenuto prête ses services à un Podestat lettré, sans scrupules et aux ambitions dévorantes. Gagner la guerre n’est pas un récit de batailles rangées, mais un aller simple au coeur du jeu de dupes, dans le temple de la politique, là même où se jouera le véritable destin de la cité artiste et véreuse. Avec cet ouvrage, Jaworski tisse la toile d’une intrigue complexe où la trahison semble être une vertu. Mais ce qui est encore plus remarquable, dans Gagner la guerre, c’est la manière dont l’auteur invente littéralement une langue.

L’étude du lexique de Gagner la guerre se révèle ainsi passionnante. Jaworski se sert de l’étymologie et de l’histoire pour réinventer les mots: « Ciudalia », « Chrysophée », « logocrate », « patrice » « podestat »,« gonfalonier », « marche franche ». De plus, l’auteur cisèle minutieusement ses phrases jusqu’à l’hyperréalisme: « La raison du sobriquet me sauta aux yeux. Les ongles de cette vieille cuillère étaient anormaux : les lunules en étaient presque noirs, de cette teinte malsaine que donnent les hématomes à des doigts cruellement pincés. Le reste de la corne était bombé, couleur d’argent terni, strié de quelques taches repoussantes comme des incrustations de crasse. L’effet était grotesque : on aurait cru la main d’une morte, aux ongles vernissés de poison.». Un autre trait important de l’écriture  de Jaworski  est sa dimension ironique comme lorsque Benvenuto force une jeune fille sans trop de complexes : « Ce fut ainsi, par la petite porte, que je m’introduisis dans la famille du Podestat. »[4. J-P. JAWORSKI, Gagner la guerreop.cit., p.342]

Car pour Jaworski, il s’agit aussi de provoquer. Et c’est un pari diablement réussi. Benvenuto n’est ni Aragorn, ni Jon Snow, ces figures tutélaires de la Fantasy mais il acquiert une manière de saveur monstrueuse. Cette ironie et cette provocation dupent le lecteur qui se sent coupable d’adorer ce vaurien qui réveille en lui de drôles d’instincts : provocation dans la laideur, plaisir de tuer, sexualité bestiale et jouissance du complot.

 



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