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Fanny Ardant: «Je n’ai jamais voulu être une victime»


Fanny Ardant: «Je n’ai jamais voulu être une victime»
Fanny Ardant © Laurent VU/SIPA

À l’affiche du nouveau film de Roman Polanski (The Palace), l’actrice sort de son habituelle réserve pour défendre le réalisateur qu’elle aime et admire. Elle dénonce le maccarthysme MeToo, dont le but est d’intimider et d’humilier ; et rappelle que pour jouer, un bon acteur doit savoir « perdre » sa personnalité.


Causeur. Le Festival de Cannes déroule le tapis rouge à la « révolution #MeToo » et à ses héroïnes, les dénonciations de « comportements inappropriés » sur les plateaux de tournage pleuvent. The Palace, le film de Roman Polanski, ne peut être programmé normalement en France. Que vous inspire tout cela ?

Fanny Ardant. Avant de venir parler avec vous, j’ai réfléchi à ce que je voulais vous dire. En premier lieu ceci : dans notre société, tout est à vendre : l’information, l’art, le voyage, le sport, tout. Dans notre société capitaliste, tout se ramène au profit. Dans le cinéma, si un metteur en scène ou un acteur est pointé du doigt, on l’efface, parce qu’il met en péril la seule chose qui intéresse tout le monde : les affaires et le profit. Il ne sera aidé par personne. Cette société accepte en silence ce mouvement – #MeToo – parce qu’elle a peur. La peur, plus le profit, cela donne des gens qui se mettent à genoux. Vous pouvez attaquer n’importe qui, personne ne bougera pour le défendre parce que chacun protège ses intérêts : Ne plus être « engagé », ne plus gagner de l’argent, ne plus faire partie des « bienheureux du monde »… la plus grande peur !

La peur est humaine. Vous n’avez jamais eu peur ?

Quand j’ai eu 15 ans, j’ai su que la peur était mon plus grand ennemi. Vous vous laissez effrayer, vous l’acceptez ? Alors c’est fini. Votre vie ne sera plus votre aventure. J’ai compris qu’il ne fallait pas se laisser dicter par quiconque ses opinions, ce qu’on pense, ce qu’on aime, ce qu’on croit, ni écouter les mises en garde : qu’il ne fallait avoir peur de rien, à ses risques et périls.
Je suis d’une nature mélancolique. Vous allez mourir très vite, votre vie n’a aucun intérêt par rapport à toute la longue histoire de l’Histoire, me disais-je. Alors la seule chose qui compte c’est : comment as-tu vécu ? Où t’es-tu situé ? As-tu pactisé ? Qu’as-tu défendu ? Pour quelles raisons ? La vie est si brève… Et tu es prêt à l’amoindrir en te déshonorant, c’est-à-dire en accusant, en ostracisant ? Tu as si peu de temps pour ce que tu aimes et dans ce en quoi tu crois…  Alors cracher sur les autres ? Les traîner dans la boue ? C’est ça vivre ? De de toute façon tout le monde va être oublié.

En somme l’idée de la mort vous interdit de céder…

Très jeune, des personnes que j’aimais passionnément sont mortes, j’ai compris que tout était fragile et vulnérable. J’étais obsédée par le mot plus jamais … nevermore… mai più… tout va disparaître… cette conversation dans un café, ce sourire de l’autre côté de la rue, cet arbre qui bougeait dans le vent, plus jamais ça ne reviendra. L’idée de la mort ne m’a jamais quittée. Donc j’ai toujours pensé que se battre pour l’argent, pour le pouvoir, pour la gloire était grotesque. Ça pousse à l’infamie.
Il y a toujours eu un combat en moi entre Jésus – la main tendue, le pardon plus que la justice, « que celui qui n’a jamais péché jette la première pierre » –, et Bakounine, son coup de couteau. Ne jamais entrer dans aucun système qui veut vous diminuer. Ne jamais faire partie de ceux qui aboient contre un homme à terre. Me soumettre à un système totalitaire, je m’y refuse. La puissance d’une idéologie ne se reconnaît pas aux réponses qu’elle donne, mais aux questions qu’elle parvient à faire étouffer. Je ne sais plus qui a dit ça, mais ce mouvement, c’est la dictature de ce qui « achetable ou non » et donc à vendre. Au fond que cherchent-ils ? Qu’on n’ait plus de parole ? Plus d’honneur ? Qu’on soit facilement gouvernable ?

Quand on a perdu sa dignité, on est facilement gouvernable…

Oui. Rappelez-vous le maccarthysme. Le but c’était d’intimider les gens, de les faire s’humilier pour qu’ils en arrivent à dénoncer. Mais celui qui dénonce reste une balance ! En prison, c’est puni le plus gravement – par les autres. C’est une morale.
Ma morale : je défendrai toujours les gens que j’aime, je ne les abandonnerai jamais. C’est grave de s’être sali, de s’être vendu, de s’être agenouillé pour RIEN. Un jour vous allez mourir. Vous perdrez tout… Donc pourquoi s’être sali ? Pour posséder ?
J’ai toujours pensé qu’il valait toujours mieux faire partie de la résistance que de la majorité.
Aujourd’hui on a fait entrer au Panthéon tous ceux de l’Affiche Rouge, là où leurs noms avaient été déshonorés. On placardera toujours des êtres humains pour les effacer.
J’en reviens donc à mon obsession : tout est à vendre. J’ai une vision très noire du monde. C’est plus facile de diriger des masses qui pensent de la même façon. Ça a commencé en Chine. Il y a encore des petits ilots de démocratie. Tant que la justice sera indemne, c’est le dernier pilier…

Elle n’est plus tout à fait indemne. Car les médias exercent une pression extrême sur l’indépendance des juges.

Les grands acquis de la République, c’était : la justice, l’éducation et


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Juin2024 - Causeur #124

Article extrait du Magazine Causeur




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philosophe et psychanalyste

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