Décidément, le biographe et romancier Pascal Louvrier, également collaborateur à Causeur, est très prolifique en cet an de grâce 2022. Après nous avoir gratifiés, au printemps dernier, d’une très belle biographie de Gérard Depardieu, Gérard Depardieu à nu, l’automne sera Ardant. En effet, est sorti ce 22 septembre : Fanny Ardant, une femme amoureuse.
Déambulation sentimentale et roman épistolaire
Mais est-ce vraiment une biographie ? Rien n’est moins sûr. En effet, au moment de la sortie de celle de Depardieu, Louvrier m’avait confiée se servir de ses sujets pour, finalement, parler de lui. A travers cette évocation de l’autre grande dame brune, nous sentons en effet que le biographe a mis beaucoup de son être. Le livre aurait d’ailleurs pu s’intituler : « Pascal Louvrier, un homme amoureux ». Car il ne parle que d’amour, des amours de Fanny, de son amour pour la littérature et le théâtre – en particulier de Duras – et de ses propres amours déçues. De Raphaëlla, qui se confond avec Fanny, qui lui ressemble peut-être, qui « reste toujours dans le livre, même cachée ». Et celui bien sûr, qu’il ressent pour l’actrice, mêlé de fascination, qui transpire tout au long du récit. Car il s’agit bien d’un récit. C’est une déambulation, une traque, une rêverie, et presque un roman épistolaire.
En effet, l’écrivain décide d’écrire à sa muse pour lui parler de son projet de biographie. Celle-ci répond avec enthousiasme et lyrisme : « Si jamais moi aussi, j’avais envie d’écrire une biographie, je ferais comme ça, je prendrais le pouvoir. Bien sûr qu’il faut aimer la personne sur laquelle on va écrire, sinon pourquoi dépenser son énergie sacrée pour lancer des vipères ? » En retranscrivant cette citation – si « ardantesque » – j’entends LA voix. Cette voix si particulière, unique, que l’on aime ou que l’on déteste. Louvrier l’évoque comme personne, lui donne chair, la transcende. « La voix de Fanny révèle le tombeau de ce que nous fûmes : des humains debout et follement amoureux de la vie. »
On apprend beaucoup de choses dans ce récit, notamment que Fanny a chanté en duo avec Véronique Sanson – autre femme à voix – la sublime chanson de cette dernière : « Amoureuse ». Je l’ignorais, je l’ai donc écoutée. Fanny ne chante pas vraiment, elle fait du « spoken word », comme on dit, ce qui donne à ce chant d’amour un aspect encore plus tragique, presque sulfureux. « Et je me demande si cet amour aura un lendemain. » Les amours les plus belles, et les plus romanesques, n’ont jamais de lendemains.
La narration est décousue, presque un stream of consciousness à la Joyce. L’auteur nous livre ses réflexions sur l’amour. Toujours. Il part à Venise où il rencontre une femme qui ressemble à Fanny. Celle-ci est omniprésente, hante le récit. Il évoque en vrac ses films, dont bien sûr la Genèse : La femme d’à côté, l’histoire de cette passion destructrice, le « ni avec toi ni sans toi » ultime. Bien sûr, il évoque aussi longuement le réalisateur du film : François Truffaut, le grand amour de Fanny. Il s’attarde surtout sur la mort de celui-ci, sur son cancer foudroyant, ses saignements de nez. Cette évocation se trouve au début et à la fin du récit. D’ailleurs, la répétition est un dispositif que l’on retrouve tout du long, comme des obsessions. L’auteur se répète à dessein, pour nous signifier que la vie est dégueulasse, un perpétuel apprentissage de la perte, et que c’est l’amour, aussi douloureux soit-il, qui nous maintient en vie.
Sous le signe de Duras
Mais Fanny, c’est aussi Pédale douce, comédie pour laquelle elle obtient un César en 1997. Ardant la tragédienne récompensée pour une comédie, ironie ? Non, Louvrier a bien sûr décelé qu’il s’agissait d’une comédie tragique. Cliché que d’affirmer que la tragédie et la comédie sont toujours étroitement liées.
L’aspect purement biographique de la vie d’Ardant n’apparaît que dans la dernière moitié. Fille de militaire, née à Saumur, elle grandit à Monaco. Jeune fille, elle lit tous les livres, se passionne pour Balzac et la littérature russe. C’est une cérébrale, elle intègre Sciences Po et rédige un mémoire sur le Surréalisme. De mère il n’est pas question, le mystère reste opaque. Fanny, par contre, a élevé seule ses trois filles qui, dit-elle, l’ont fait grandir.
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Je ne sais combien de fois j’ai écrit le mot « amour » dans cette chronique. Ce mot rythme également, à l’infini, le beau récit de Louvrier, comme il rythme, et a rythmé, la vie de sa muse. Comme il rythme la vie de tous ceux qui ne renoncent pas, qui sont vivants, à l’image de Fanny, et sans doute de Pascal Louvrier.
Finissons avec Duras, car je sais que Pascal Louvrier, comme Fanny Ardant, lui vouent un culte. Finissons avec cette scansion si durassienne, qui sied si bien à la diction « ardantesque » « Tu me tues. Tu me fais du bien. J’ai le temps. Je t’en prie. Dévore moi. »
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