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Fallait-il diffuser Merah ?


Dimanche 8 juillet, dans l’émission Sept à Huit, TF1 a diffusé pour la première fois des extraits audio des conversations entre Mohamed Merah et les policiers enregistrés pendant le siège de l’appartement du terroriste les 21 et 22 mars dernier. Depuis, les critiques pleuvent et l’initiative de la chaine est presque unanimement condamnée.

Dans un communiqué, le ministre de l’Intérieur Manuel Valls a dit « regretter » la décision de la chaîne, exprimant son indignation devant l’absence de précaution prise « pour respecter les familles des victimes » du jihadiste. Le respect dû aux familles des victimes est en effet le premier argument invoqué pour critiquer TF1. Quoique émotionnellement efficace – qui ne comprend l’émoi des proches des sept victimes en entendant la voix de l’assassin ? – ce raisonnement est insuffisant. D’abord, comme l’indique le communiqué de Manuel Valls, certaines précautions auraient pu être prises : prévenir les familles ou les inviter à regarder le reportage avant sa diffusion à l’antenne. Qui plus est, si le droit de savoir du public se heurte aux droits des victimes, le premier – qui relève de l’intérêt général – doit l’emporter sur le second – lié à des intérêts particuliers.

Le deuxième argument que font entendre les critiques de TF1 est le préjudice à l’encontre de notre appareil de sécurité qu’entraîne la divulgation d’informations sur les méthodes de travail des différents services de renseignement et d’intervention. C’est un argument valable et sans doute, tout au long de cette affaire, trop de détails ont été rendus publics. Qu’il s’agisse des techniques qui ont permis d’identifier et de localiser Merah ou des différentes tactiques des unités spéciales, les apprentis terroristes sont mieux informés aujourd’hui qu’il y a quatre mois.

Il faut espérer que tout a été fait pour identifier les lacunes qui ont permis cette tuerie et y remédier. Mais en tant que citoyens et journalistes, admettons que les institutions- y compris les médias – ont parfois besoin d’être un peu fouettées par la presse pour tirer toutes les conséquences de leurs actions passées.

Si, sur ce point, le bilan avantages/ inconvénients de la diffusion de ces données secrètes n’est pas évident, n’oublions cependant pas que l’essentiel des informations problématiques a déjà été publiée. Sur ce plan, l’émission de dimanche n’a fait que répéter des éléments connus.

Finalement, pour évaluer le bien-fondé de la décision de TF1, reste une question très gênante : l’impact de ces enregistrements sur un éventuel culte postmortem voué à Merah dans certains pans de la société française ou à l’étranger. Là-dessus, chacun peut évaluer si ce document pourrait encourager des vocations voire inspirer des passages à l’acte.

Les inconvénients de cette publication sont donc multiples, de la peine faite aux familles jusqu’à la mise en danger de la vie d’autrui par l’affaiblissement des services de sécurité et l’encouragement d’actes similaires aux exactions de Merah. Les avantages sont en revanche moins clairs. Ce que nous avons entendu dimanche soir sur TF1 a déjà été publié et l’unique supplément d’information – certes non négligeable – a été de l’entendre de la bouche même de Mohamed Merah avec sa manière de s’exprimer, ses tics de parole (« tu vois »), son intonation, son sang-froid et son assurance.

A l’aune de tous ces éléments, TF1 a probablement eu tort de diffuser le reportage et les enregistrements. La chaîne a d’ailleurs partiellement reconnu son erreur et a retiré de son site internet les extraits des enregistrements diffusés hier soir. Elle a d’ailleurs fait la même chose pour le reportage diffusé dans le JT de 20h de dimanche.

Ceci dit, si la balance semble cette fois-ci plaider pour une non-publication, cela ne signifie pas qu’on puisse en déduire une règle générale valable en tous lieux et en tout temps. Sans céder au culte de la transparence, le droit de savoir ne doit pas être pris à la légère. Ainsi, l’ancien juge de la Cour Suprême américaine Louis Brandeis n’avait pas complètement tort en avançant que « la lumière est le meilleur des désinfectants ».

*Photo : TF1.



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est historien et directeur de la publication de Causeur.

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