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« Fake news »: et si on apprenait à réfléchir plutôt qu’à interdire ?

Mieux vaut trop de liberté d'expression que pas assez


« Fake news »: et si on apprenait à réfléchir plutôt qu’à interdire ?
Françoise Nyssen à Orléans, octobre 2017. SIPA. 00827467_000004

Le gouvernement dit vouloir lutter contre les « fake-news », et comment le lui reprocher ? Mensonge et désinformation nuisent au débat démocratique, qui doit être échange d’arguments et d’analyses sur la base de faits vérifiés et partagés. Et pourtant.

Tous les totalitarismes ne clament-ils pas être les garants de la vérité, pour le bien du peuple ? Or, la connaissance de la vérité relève de l’action conjointe des fulgurances de l’intuition et des vérifications rigoureuses de la raison, mais certainement pas de la loi. Dès lors que l’État prétend dire le vrai au lieu de dire le droit, le totalitarisme guette.

Réfuter plutôt que condamner

La différence entre les sinistres lois dites lois mémorielles et le délit d’apologie du terrorisme l’illustre bien. L’apologie du terrorisme n’est pas interdite parce que les terroristes ont tort (même s’ils ont tort), mais parce qu’ils sont dangereux. Ce que l’on condamne n’est pas une opinion, mais le soutien à un comportement et la claire incitation à le reproduire.

Les lois mémorielles sont totalement différentes. Un délit d’apologie de l’esclavage ne me choquerait en rien, puisqu’il est indispensable que l’État s’oppose fermement à toute tentative de rétablir cette pratique (hélas encore bien trop réelle), et donc à tout encouragement à de telles tentatives. Mais le cas bien connu d’Olivier Pétré-Grenouilleau montre la nocivité des vérités officielles et des lois qui prétendent les imposer.

Il faut, bien sûr, veiller à se prémunir contre les dérives. Par principe, je préférerai toujours réfuter plutôt que condamner, mais on comprend vite que face à une multiplication d’attaques de mauvaise foi, devoir passer son temps à les réfuter une à une est rapidement épuisant. Georges Bensoussan en sait quelque chose.

Heureusement, la calomnie est poursuivie, tout comme l’escroquerie. Il n’y a guère qu’en politique que l’on peut encore impunément vendre du rêve, et sans crainte promettre ce que l’on sait être impossible au moment même où on le promet…

Les fake news ne sont pas (forcément) les pires manipulations

La situation, cependant, est complexe. Oui, la désinformation est un problème, et ce n’est pas nouveau. Oui, des puissances étrangères peuvent chercher à nous influencer pour défendre leurs intérêts – de vous à moi, nous faisons d’ailleurs la même chose depuis longtemps. Oui, le complotisme est une dérive de l’esprit critique, qui se met à douter de tout sauf de ses propres théories, tout comme est une dérive l’idée selon laquelle toute suspicion de complot relèverait forcément du complotisme. Il y en avait bien un visant à assassiner César… Oui, l’État est généralement plus fiable que nombre de médias, mais il lui arrive aussi de mentir, des Irlandais de Vincennes au Rainbow Warrior en passant par le sang contaminé et l’arrêt miraculeux du nuage de Tchernobyl au-dessus du Rhin… ou plus simplement au sujet du budget de la Défense.

Mais c’est justement parce que la situation est complexe, qu’il vaut mieux trop de liberté d’expression que pas assez. La nature de la vérité est un sujet dont il est difficile de faire le tour en un tweet, un article ou un projet de loi. A-t-on entendu à l’Assemblée des débats sur la logique d’Aristote et les travaux de Wittgenstein ? Cédric Villani a-t-il expliqué aux autres députés l’importance du théorème de Bayes pour évaluer le rapport entre vérité et vraisemblance ? A-t-on réfléchi aux biais cognitifs qui accompagnent la défense d’une idéologie persuadée de déjà détenir la vérité, pour se demander si les auteurs du mur des cons sont vraiment les mieux placés pour juger la véracité d’une affirmation ? A-t-on bien intégré le fait qu’il y a des tromperies plus subtiles et donc plus efficaces que les « fake news » ? Les remarquables analyses d’Ingrid Riocreux dévoilent à longueur de blog des manipulations médiatiques bien plus dangereuses à long terme que l’évocation du sempiternel complot judéo-maçonnique des Illuminés de Bavière infiltrés par les Templiers dirigés par les hommes-serpents vivant sur la face cachée de la Lune.

Savoir penser contre soi

Si vous voulez un critère simple d’honnêteté intellectuelle, je vous propose celui-ci : la capacité à penser contre soi. Fort peu présente, vous le remarquerez, chez les thuriféraires de la vérité d’État…

En apparence, le projet de loi à l’étude semble prudent et mesuré. L’exigence « d’éléments vérifiables de nature à rendre vraisemblable » une affirmation n’a a priori rien d’exorbitant, et il n’y aurait infraction qu’en cas de mauvaise foi établie. Et cependant.

Je n’ai pas la compétence juridique pour évaluer précisément les conséquences concrètes de ce texte. J’ai néanmoins la compétence citoyenne pour remarquer qu’il s’inscrit dans un contexte  général particulièrement inquiétant.

L’inquiétante Françoise Nyssen…

Le ministre de la Culture Françoise Nyssen a ouvertement déclaré le 4 juin fixer comme objectif à l’audiovisuel public de « changer les mentalités sur le terrain ». En d’autres termes, Emmanuel Macron et ses ministres nous annoncent presque simultanément vouloir décider du vrai, et rééduquer les masses. Qu’ils ne s’en cachent même pas et qu’ils le disent avec le sourire est presque le plus inquiétant.

Et ce contexte n’est pas uniquement français. Ne parlons même pas des dictatures, et des manœuvres des réseaux d’Erdogan pour faire censurer Le Point. L’exemple des États-Unis est éclairant, et une belle illustration dans ce domaine de ce que nous ne devons surtout pas devenir, mais qui pourtant nous attend si nous ne faisons pas preuve de la plus grande vigilance. Nous avons en France quelques expressions bien trouvées pour en parler : « Parti unanime » dit Raphaël Enthoven, « tyrannie des susceptibles », ajoute Laetitia Strauch-Bonart, et la patronne dénonce depuis longtemps les « maîtres censeurs ».

Eh bien ! N’en déplaise aux apôtres de la bien-pensance moderne, je suis viscéralement attaché au droit pour mes semblables de ne pas être d’accord avec moi, de m’opposer des arguments, et même de faire de l’humour à mes dépends, ou aux dépends des groupes divers et variés auxquels je considère appartenir. J’exige évidemment le droit de leur répondre, et je ne promets pas de toujours le faire avec calme et détachement, mais même si je préfère un débat constructif à une engueulade, je préfère une franche engueulade à une censure sournoise, fut-elle à mon profit.

Que l’Etat commence par garantir le pluralisme

On ne peut ni innover ni progresser si l’on ne peut pas partager avec d’autres des idées originales, loufoques, invraisemblables ou choquantes. Et l’on ne peut pas avoir de telles idées si l’on prend l’habitude de surveiller chacune de ses paroles, si l’on se concentre sur l’impératif de ne vexer personne plutôt que sur celui d’essayer tant bien que mal de décrire, de comprendre et d’expliquer le réel. Au début, l’héliocentrisme était choquant. La théorie de l’évolution était choquante. La génétique était choquante. La relativité générale, la mécanique quantique, la circulation sanguine et l’existence des dinosaures ont « heurté la sensibilité » de pas mal de gens.

La quête de la vérité passe par l’audace intellectuelle et la recherche de la contradiction, seule à même de tester la validité d’une analyse. La démocratie passe par le débat et le désaccord, donc le droit de choquer. Dieu merci, il reste d’authentiques défenseurs de la liberté d’expression, comme le prouvent la haute tenue des récentes Conversations Tocqueville, ou le brillant communiqué du Printemps républicain au sujet du futur concert de Médine au Bataclan.

Alors, si l’État doit imposer quelque chose, plutôt que des médias tous engagés du même côté et qui cherchent à rééduquer, que ce soit des médias rigoureux, soucieux d’informer de la manière la plus neutre possible, en complément de médias engagés de tous bords et non d’un seul. Que ce soit le pluralisme, la possibilité pour chacun de faire valoir ses arguments, et la garantie du droit de réponse. Que ce soit non pas la censure des hypothèses, mais la distinction entre celles-ci et les faits, et entre les faits et les ressentis ou les opinions.

Les Français ne sont pas des enfants

Si l’État veut éduquer, qu’il développe la lecture et encourage la découverte d’auteurs aux opinions variées, plutôt que répondant à des chartes de bien-pensance, ou réécrivant les textes pour les censurer et en appauvrir le langage. Qu’il pousse à l’esprit critique, et non à l’habitude de se référer à une unique source, que celle-ci soit l’État, les décodeurs, un livre sacré ou votre site d’information préféré. Que ce soit l’éducation à une habitude aussi saine que simple : se demander quels sont les arguments de ceux qui ne sont pas d’accord, et prendre le temps d’y réfléchir.

Les Français ne sont pas des enfants irresponsables qu’il faudrait protéger d’eux-mêmes, mais des citoyens ! Le peuple libre d’un pays libre, qui n’a pas à tolérer le mépris de ceux qui prétendent penser à sa place.

Oui, il faut du courage pour penser par soi-même, le courage d’accepter de prendre le risque de se tromper, et d’en assumer les conséquences éventuelles. Et alors ? « Dites-vous bien que la liberté se confond avec le bonheur, et le courage avec la liberté. » (Périclès)

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Haut fonctionnaire, polytechnicien. Sécurité, anti-terrorisme, sciences des religions. Dernière publicatrion : "Refuser l'arbitraire: Qu'avons-nous encore à défendre ? Et sommes-nous prêts à ce que nos enfants livrent bataille pour le défendre ?" (FYP éditions, 2023)

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