À quelques heures de la cérémonie d’ouverture magique des JO, les derniers Français récalcitrants sont priés de se taire.
Joophiles, passez votre chemin. Je m’adresse ici aux grognons, aux coincés du festivisme, aux réfractaires à l’enthousiasme programmé, aux immunisés contre la religion du sport, aux rebelles aux effusions collectives, aux vaccinés contre le patriotisme des stades – ultime lieu où chérir son drapeau n’est pas nauséabond. Je veux parler aux flâneurs, promeneurs, marcheurs – à tous mes frères piétons de Paris réduits depuis des jours à se déplacer comme des rats de laboratoire dans un labyrinthe de grillage.
Revenue dans ma ville, ou ce qui en restait, dimanche 21 juillet, j’ai cru qu’un coup d’État avait eu lieu la nuit précédente. Dûment munie de mon ausweis, j’ai traversé une ville déserte, hérissée de barrières et quadrillée de check-points. Il y avait un petit air de Santiago-Pinochet, mais en version Walt Disney, avec des gradins en plastique coloré, et des policiers et des gendarmes gentils – « bienveillants », a sermonné Gérald Darmanin. Et ils le sont. Même s’ils n’ont droit qu’à dix jours de vacances, et quand on en enlève un pour rallier la famille à Mirande dans le Gers et un autre pour rejoindre son affectation, ça ne fait pas lourd après une année de maintien de l’ordre. Ils sont rassurants. Dans le décor lunaire de Paris 2024, ces hommes et femmes en uniforme sont comme une survivance de l’ancienne réalité, absorbée par la fête. Muray parle quelque part de colonie distractionnaire. Nous y sommes.
Nombre de mes amis parisiens qui vibrent pour ces JO dans leur maison du Luberon sont furieux contre moi. Qu’est-ce que ça peut te faire, c’est seulement pour quelques jours. D’abord, c’est faux. Voilà des mois que ce cirque olympique pourrit la vie de millions de franciliens, les empêchant de travailler correctement et de se déplacer normalement. Ensuite, pour exiger des citoyens le sacrifice de leurs libertés essentielles, de dizaines d’heures de leur vie – et pour certains de leurs revenus -, il faudrait leur prouver que cela servira l’intérêt général. Il paraît que le rayonnement de la France est en jeu. C’est sûr, quand ce calvaire sera enfin fini, le rapport de forces géopolitiques sera bouleversé, les Chinois nous mangeront dans la main, et les Australiens achèteront nos sous-marins. En attendant, Jean-Baptiste Roques m’apprend que, pendant que nous faisons joujou, le monde continue à tourner : « Pendant que Macron préside des dîners de gala avec Mme Biden et le président de Coca-Cola, c’est-à-dire joue en deuxième division diplomatique, l’Allemagne et le Royaume-Uni préparent un nouvel accord post-Brexit Londres-Bruxelles. Et qui n’est pas sur la photo ? Nous ! » Quand d’autres brillent par leur technologie, leur puissance militaire, leur inventivité scientifique, la France, autrefois mère des arts, des armes et des lois, n’a plus à offrir au monde que sa capacité à organiser de gigantesques jeux du cirque et les ripailles de luxe qui vont avec. Qu’attendre d’autre d’un pays qui s’enorgueillit d’être la première destination touristique mondiale. La sortie de l’Histoire, c’est où ?
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Bien entendu, personne n’est capable de démontrer que les bénéfices pour la collectivité vaudront les tourments infligés à des millions de citoyens. C’est le fait du prince en l’occurrence des princes car Emmanuel Macron et Anne Hidalgo, habituellement en bisbilles, font cause commune. C’est bon pour le peuple puisque nous l’avons décidé. En prime, je ne voudrais pas être mesquine, mais vu que les recettes annoncées fondent comme neige au soleil, nous serons priés de financer d’une façon ou d’une autre les extravagances olympiques – comme les indemnisations de commerçants. En bon français ça s’appelle un impôt. Pas de taxation sans représentation, ça ne veut pas dire que l’impôt doit être décidé par des représentants du peuple ? Et je ne vous parle pas du ticket de métro à quatre euros pour les nigauds qui ont dû rester à Paris pour travailler et/ou ne possèdent pas de résidence secondaire.
D’ici quelques heures, toute voix dissidente sera étouffée par une immense clameur d’approbation. Après la cérémonie de ce soir, tout sera pardonné, à commencer par la mise à l’arrêt de la capitale de la France et la suspension de nos libertés fondamentales, comme celle d’aller et venir, d’ouvrir son magasin quand on est commerçant ou de prendre un train. On fera assaut de féérie, de magie et de superlatifs en tout genre. D’ailleurs, n’en doutons pas ce sera certainement joli, coloré, festif, ludique, chatoyant. Et édifiant à souhait. La présence parmi les auteurs de Patrick Boucheron, l’homme qui aime l’histoire de France quand elle n’est pas trop française – et qui, pour cela, occupe un poste éminent au Collège de France -, nous promet un salmigondis multi-culti – il sera question, semble-t-il, de « métissage planétaire ». Emportés par un unanimisme effrayant, des hésitants se rallieront à la liesse « populaire » et les derniers Gaulois réfractaires seront dénoncés comme ennemis du peuple. Les mauvais coucheurs sont des mauvais Français.
Le pire, en effet, ce ne sont pas les saccages en eux-mêmes, c’est la propagande soviétique qui recouvre ces Olympiades de mensonge. La laideur, c’est la beauté, le flicage c’est la liberté, des places à 500 balles, c’est une fête populaire : nos grands leaders remettent Orwell au goût du jour. Comme me le souffle mon cher Stéphane Germain, nos glorieux dirigeants nous offrent la semaine de la joie olympique, il n’est pas question de se dérober. En février, lors de l’inauguration de l’Arena-porte de la Chapelle, on a vu l’improbable Hidalgo manœuvrer un fauteuil roulant pour promouvoir les Paralympiques. À l’appui de ce spectacle douteux, elle nous exhortait à la joie. « On va vibrer ensemble. Paris va être magnifique! Ne partez pas cet été, ce serait une connerie. » Aujourd’hui, elle les supplie de ne pas bouger de chez eux. Et de dire merci. Vous devriez être reconnaissants d’être séquestrés chez vous, vous pourrez vous gaver de cacahuètes en regardant sur votre télé pourrie le spectacle qui se déroule sous haute surveillance à quelques dizaines de mètres de vous. « Paris redevient une fête », titrait il y a peu Courrier International et ce n’était pas de l’humour. Le Parisien est en mode Pravda. France Inter nous inflige chaque matin de pénibles et prévisibles entretiens avec des athlètes – alors, vous êtes heureux, ces JO c’est un rêve, non ? – Oh oui un rêve que je vais enfin réaliser et quelles installations merveilleuses ! Pendant que les insoumis désignent les athlètes israéliens à la vindicte, et que la gauche promet de contester dans la rue sa défaite dans les urnes (et oui, 30 % c’est une défaite), le Parti des Médias nous parle de fraternité olympique.
Alors oui, tout en admirant les voluptueuses montagnes où j’ai trouvé refuge, j’en profite tant qu’on peut encore râler. Je ne pardonnerai pas ce saccage. Ne pas en être est un droit de l’homme.
Après des actes de vandalisme perturbant fortement le trafic SNCF des TGV, le Premier ministre Gabriel Attal se rend à une cellule de crise Il va sans dire que je désapprouve totalement les malfaisants qui ont ajouté le chaos ferroviaire à la pagaille olympique. Ces artisans du terrorisme ont déjà réussi à enfermer dans la capitale des milliers d’estivants qui avaient prévu de fuir ce week-end. Ils ne gâchent pas seulement la fête mais plus encore mon plaisir de la gâcher, les mots étant des armes plus distinguées que le feu, très néanderthalien quand on y pense. Cette attaque low cost est un révélateur de notre vulnérabilité. Nous sommes outillés (enfin j’espère) pour déjouer des attaques sophistiquées et hautement technologiques. Des incendies, c’est imparable. Il faut croire que notre maîtrise des mondes virtuels ne nous a pas encore libérés de la bête matérialité du monde concret • EL |
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