Chaque semaine jusqu’à l’élection présidentielle, la « battle » sur Yahoo ! Actualités confronte les éditos de Rue89 et Causeur sur un même thème. Cette semaine, Gil Mihaely et Pascal Riché débattent de l’inégalité selon Nicolas Sarkozy.
Aussi ennuyeuse soit-elle, la campagne présidentielle parvient quand même à dégager quelques différences idéologiques profondes entre la Gauche et la Droite, notamment sur la question de l’égalité. Comme nous avons pu le constater mardi soir sur le plateau de Des paroles et des actes, derrière le duel surjoué entre le « Président des riches » et « l’Ennemi de la finance », se cache une confrontation bien réelle entre deux visions du monde, deux conceptions opposées de l’égalité et surtout de l’inégalité.
Pour une droite qu’on peut qualifier, pour quelques mois encore, de sarkozyste ou, disons, de libérale modérée, l’inégalité en soi — contrairement à certains excès – n’est ni moralement scandaleuse ni socialement ou économiquement problématique. Au contraire, compte tenu de la nature humaine, l’inégalité peut encourager l’effort et la prise de risque et donc se révéler utile in fine. A gauche, même si la social-démocratie accepte l’inégalité, elle la conçoit comme un mal nécessaire qu’il faut essayer d’endiguer autant que faire se peut.
Ainsi, le projet sarkozyste, plébiscité par les électeurs en 2007, et sa première année de mandat s’articulaient autour d’une certaine vision de l’inégalité. Nicolas Sarkozy voulait devenir le premier président normal, c’est-à-dire le premier chef d’Etat de la Ve République à ne pas afficher un mépris aristocratique pour l’argent, à la réussite économique et à ses attributs. Du yacht de Bolloré à ses vacances américaines en passant par le Fouquet’s, les Ray Ban et l’usage du portable, le président renvoyait clairement au message de Guizot : « Enrichissez-vous ! ». En ajoutant, à la différence du très protestant président du Conseil de Louis-Philippe, « Jouissez-en sans complexe » ! Le peuple, laissait entendre Sarkozy, préfère être riche que pauvre et ne pense plus que la propriété, c’est le vol.
Une fois ce postulat posé, sa stratégie coulait de source : pour stimuler la croissance, il faut valoriser la réussite, désigner les entrepreneurs comme les modèles à suivre, injecter du sang neuf à l’élite française et remettre en marche l’ascenseur social. C’était tout le sens du bouclier fiscal et du discours qui l’accompagnait. À sa grande surprise, Nicolas Sarkozy a rapidement découvert que les Français, y compris nombre de ceux qui l’avaient élu, rejetaient ce message.
Plusieurs mois avant le début de la crise, le rejet massif par l’opinion du très libéral rapport Attali lui a signalé qu’en dépit de sa légitimité de président récemment élu, sa marge de manœuvre était minime. A l’été 2008, la crise des subprimes s’est propagée, mettant Sarkozy dans la situation gênante d’un chef d’Etat ayant réduit aboli le service militaire quelques mois avant le déclenchement d’une guerre inattendue. Loin de pouvoir démontrer son efficacité dans la durée, le bouclier fiscal a créé un incontestable manque à gagner, privant l’Etat de précieuses recettes au pire moment d’une crise qui lui aura été finalement très coûteuse. Faute de temps, le bienfondé du bouclier fiscal n’a donc jamais pu être confirmé ou infirmé puisque ce dispositif s’est retrouvé prématurément balayé par un tsunami économique.
Aujourd’hui, nous sommes face aux mêmes questions et aux mêmes choix. Dans un moment de crise, de chômage et d’endettement, un effort exceptionnel et justement partagé est sans aucun doute nécessaire. Mais de la même manière que des réquisitions, légitimes et nécessaires en temps de guerre, ne peuvent pas perdurer durablement en temps de paix, crier haro sur les riches ne sert pas intrinsèquement l’intérêt général. Surtout dans un pays où la réussite économique reste plus que jamais suspecte.
Plutôt qu’une égalité mythifiée, une politique équitable devrait tendre à la baisse du nombre de pauvres grâce à l’Etat-Providence. Mais attention, il faut impérativement que cet Etat-Providence soit financé par les fruits de la croissance plutôt que par l’endettement. Faire l’inverse a été l’erreur fatale de la Grèce, que ses citoyens paient aujourd’hui au prix fort. Or, ce n’est pas en tirant les plus forts vers le bas qu’on aidera les plus faibles. Certes les cris d’orfraie des footballeurs ou des chanteurs sont risibles. S’ils s’exilent vers Londres ou Gstaad, ce ne sera pas exactement pareil que Victor Hugo contraint de trouver asile à Guernesey.
Mais si Marseille peut se passer d’André-Pierre Gignac et mes tympans de Johnny Hallyday, la France, elle, n’a pas vraiment intérêt à voir partir ailleurs un Franck Riboud ou un Bernard Arnault sauf à souhaiter qu’un jour, Danone et LVMH prennent eux aussi le chemin de l’exil…
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