Les derniers exploits du front républicain ? Avoir laissé penser à quelques électeurs de gauche qu’ils avaient gagné les élections législatives, et avoir laissé la France sans Premier ministre désigné pendant tout l’été.
Dans son éditorial du samedi 7 septembre, Le Monde regrettait « un front républicain abîmé un peu plus » parce que le RN, avec cette lente désignation d’un Premier ministre, serait devenu maître du jeu[1]. Même si on sait que celui qui a emporté la décision présidentielle en faveur de Michel Barnier est en réalité son ami Alexis Kohler. Ce qui m’intéresse dans la vie politique française n’est pas seulement cette nostalgie du front républicain dont on peut estimer à un double titre qu’il endommage la démocratie. En effet je ne vois pas, jusqu’à nouvel ordre, ce que le parti constamment ciblé par le front républicain aurait de « non républicain ». Sauf à donner au mot République un sens dénaturant les programmes et les oppositions politiques de manière tellement extensive qu’il n’aurait plus rien d’opératoire. Comment peut-on considérer comme un succès pour la démocratie ce qui est le contraire de la transparence, de la sincérité, de la vérité et de la logique profonde des partis ? Comment s’enthousiasmer parce que, faute de savoir convaincre pour soi et en son nom propre, on n’a trouvé comme triste palliatif que de se réunir artificiellement contre un ennemi démonisé par commodité ?
Ça devient comique
Ce front républicain devient même franchement comique quand il s’obsède sur l’obligation de « faire barrage ». Si le monde politique avait un tant soit peu d’ironie et de dérision à son encontre, toutes chapelles confondues, il devrait se gausser de cette expression qui lui sert à intervalles réguliers de recours, de secours, de viatique et de guerre. Comme s’il lui convenait de dresser d’infranchissables murailles face à un ennemi terrifiant qui pourtant a toute latitude et toute légitimité pour s’ébattre dans notre espace républicain. Avec seulement la bagatelle de onze millions de citoyens en sa faveur !
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Ce terme qui revient pour scander le vide quand on n’a plus que lui pour se juger important, nécessaire, sauveur de la patrie, a cette conséquence de réduire la classe politique à une mission d’ingénieur hydraulique ou à un mimétisme bestial avec les castors. De la détourner en tout cas de l’essentiel pour lui offrir le luxe de s’abandonner en toute bonne conscience et inutilité à de l’accessoire, à un militantisme sans âme ni élan. Surtout tellement confortable. Nul besoin de réfléchir, d’écouter, de dialoguer, de douter, non, surtout pas, mais faire barrage ! Démontrer pourquoi la gauche est le salut pour notre pays, pourquoi la droite doit être élue, foutaises, puisque la hantise, le devoir impérieux, l’obligation morale sont de faire barrage au RN ! La gauche, parce qu’elle pourfend l’extrémisme qu’elle décrète tel tout en le tolérant en son sein, la droite parce qu’elle adore complaire à la gauche et imagine obtenir ainsi ses bonnes grâces alors que c’est l’inverse !
Finalement, pas de quoi rire…
Faire barrage est devenu la prescription d’une politique vide de sens, d’une politique qui se résume à des dénonciations, des stigmatisations, des distinctions qu’on nous assène comme des évidences alors qu’elles nous laissent dans une perplexité citoyenne. Mélenchon moins dangereux que Marine Le Pen, LFI un parti plus républicain que le RN, l’antisémitisme à droite ou à l’extrême gauche, l’arc républicain à l’Assemblée nationale pour tout le monde ou pour personne ? Au fond il n’y a pas de quoi rire. Quand un tel radotage démocratique se développe au point de lasser une infinité de citoyens que nos débats et notre décalage avec leurs authentiques et douloureuses difficultés n’intéressent plus, lorsque faire barrage devient le mot d’ordre, la plupart du temps, du désordre, de la violence, de la censure et de l’étouffement des paroles antagonistes ou dissidentes, on devrait comprendre qu’il y a un radical changement de registre à opérer. Si on souhaite à toute force s’ériger en constructeurs, soyons plus tentés par les ponts que par les barrages, par les liens que par les ostracismes. La politique ne doit pas s’interdire de rêver pour demain de ce qu’elle croit inconcevable aujourd’hui.
[1] https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/09/06/michel-barnier-un-choix-pour-matignon-qui-ne-referme-pas-la-crise-politique_6305501_3232.html