Alors qu’aux Etats-Unis la situation sur les campus est si dégradée que tout le monde tombe dans le panneau d’une fake news annonçant des étages réservés aux « Noirs » dans les résidences universitaires, les thèses de l’antiracisme le plus dévoyé gagnent l’hexagone. Courant de pensée : wokisme. Méthode : cancel culture. On vous explique.
Vous ne le connaissez sûrement pas, pas encore. Pourtant, Ibram X. Kendi est une star aux États-Unis où son essai Comment être un anti-raciste est un best-seller, et son expertise régulièrement sollicitée par des entreprises et des universités pour « éduquer » les personnes qui n’ont pas encore été contaminées par le « wokisme ». Être « woke » (éveillé), c’est être conscient de ce qui va bien au-delà de la reconnaissance d’incidents racistes isolés dans des sociétés démocratiques où l’égalité des droits pour tous est établie. Devenir « woke », c’est acquérir une conscience profonde des mécanismes d’un racisme dit « systémique » et « institutionnel » dirigé contre toute personne non blanche hétérosexuelle cisgenre, c’est être un « allié », « actif » et c’est surtout d’abord se taire, écouter puis s’exécuter.
Selon Ibram X. Kendi, auteur et historien spécialiste de la race et de la politique discriminatoire en Amérique, toute société où il n’y pas autant de noirs riches que de blancs riches et autant de blancs pauvres que de noirs pauvres s’est organisée socialement et politiquement d’une manière raciste. En pratique, cela signifie que toute loi, même anti-discriminatoire, qui aboutit à une iniquité socialo-économique entre les « races » est raciste.
« Une politique raciste est toute mesure qui produit ou entretient une inégalité raciale entre les groupes raciaux. Une politique antiraciste est toute mesure qui produit ou soutient l’équité raciale entre les groupes raciaux. Par politique, j’entends les lois, règles, procédures, processus, réglementations et directives écrites et non écrites qui régissent les gens. Il n’existe pas de politique non raciste ou neutre. Chaque politique de chaque institution dans chaque communauté de chaque nation produit ou entretient soit l’iniquité raciale, soit l’équité entre les groupes raciaux. »
« La question centrale autour de la discrimination est si elle aboutit à l’équité ou l’iniquité. Si une discrimination produit l’équité alors elle est anti-raciste. Si la discrimination aboutit à l’iniquité alors elle est raciste. »
Extraits de How to be an anti-racist, Ibram X. Kendi, 2019
Si l’on prend par exemple le cas des universités de l’Ivy-League, la pratique d’une sélection des étudiants sur le mérite et lui seul doit être abandonnée si le nombre d’étudiants admis n’est pas représentatif du paysage « racial » des États-Unis.
Plusieurs universités dont Yale et Harvard ont donc revu leur système en imposant des quotas ethniques aux candidats afin de ne pas être désignées comme racistes. Tant pis si cela leur coûte de passer à côté d’étudiants bien plus méritants et qui ont bien plus de chances d’arriver au bout de leur formation et d’obtenir un diplôme !
Certaines universités risquent d’aller bien plus loin dans l’affirmation de leur antiracisme sous la pression de leurs étudiants « woke » en prenant des mesures pour le moins « vintage »…
Fake news à l’université ?
Ce 24 août, le média WSWS (site des trotskystes américains) a rapporté que l’université de New-York (NYU) aurait décidé de remonter le temps jusqu’en 1950 dès l’année prochaine, en pratiquant la ségrégation raciale dans ses résidences universitaires. Cette nouvelle s’est propagée comme une trainée de poudre provoquant l’indignation de nombre d’intellectuels, de journalistes et de scientifiques sur les réseaux sociaux.
Tout aurait commencé avec une pétition en ligne dans laquelle deux étudiants militants appartenant au groupe « Black Violets » demandent à l’administration de la NYU de réserver un étage dans les résidences universitaires à ses étudiants noirs de premier cycle.
Le groupe soutient que « trop souvent dans la salle de classe et dans l’espace résidentiel, les étudiants noirs portent le poids de l’éducation de leurs pairs non informés sur le racisme » et que pour y remédier ils « auraient désespérément besoin d’un «espace sûr» où ils peuvent échapper aux étudiants, au personnel et aux professeurs d’autres races».
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Bien que la pétition en ligne n’ait recueilli que « 1 105 signatures sur les 26 733 étudiants de premier cycle actuellement étudiant à NYU », le WSWS rapporte que la proposition aurait été adoptée par l’université. Face au tollé soulevé par cette nouvelle, l’université a publié un démenti le jour même pour expliquer qu’il ne s’agissait pas du tout de réserver un étage exclusif aux étudiants noirs. Dans un communiqué publié en ligne, NYU annonce consacrer l’un de ses nombreux « étages d’exploration thématique » à « l’histoire et la culture des Noirs ». Celui-ci sera « ouvert aux candidats de toutes races et de toutes origines » car « l’université soutient fermement les objectifs de diversité et la création d’un environnement accueillant, favorable et inclusif pour les étudiants de couleur et les étudiants issus de communautés marginalisées ». L’administration de NYU assure qu’elle « n’a pas et ne créera pas de logements étudiants qui excluent des étudiants sur la base de la race ». Fake news ou non, nous aurons le fin mot de l’histoire en janvier 2021, date à laquelle le dispositif devrait être mis en place. En attendant, NYU ne fait aucune mention de son intention de porter plainte contre WSWS dont l’article est toujours en ligne.
Demain en France?
L’histoire du néo-antiracisme américain nous a montré à de nombreuses reprises qu’il n’y a nullement besoin d’un scandale autour d’étages de résidences universitaires réservés aux noirs pour associer apartheid et universités : réunions en non-mixité ethnique, « journée sans blancs » ou encore notation à la tête / couleur de l’étudiant, autant de revendications et de pratiques qu’une minorité observe depuis la France avec consternation, souvent avec peur, mais aussi impuissance.
Une poignée d’universitaires, d’intellectuels et de militants universalistes alertent depuis quelques années sur le danger du « wokisme » qui infiltre les universités françaises, mais force est de constater que leur voix ne porte pas assez pour que les pouvoirs publiques se penchent sur la question. De nouveaux masters voient le jour à chaque rentrée autour de thématiques qui relèvent plus du fétichisme que de la science, les bibliographies conseillées aux étudiants et plus récemment aux lycéens sont régulièrement mises à jour avec des références à ces théories dont on entend pour certaines, qu’elles ne sont même pas validées car non évaluées par la communauté scientifique…
Mais alors, qui pilote à bord des universités françaises ?
Le 29 juillet 2020, le député du Cher, François Cormier-Bouligeon (Lrem), interrogeait le vice-président de la conférence des présidents d’universités et président de l’université de Nantes, Olivier Laboux, dans le cadre de la commission des affaires culturelles et de l’éducation à l’assemblée nationale :
« Nous voyons avec un réel étonnement et une crainte certaine se développer en France (…) des thèses venues d’Outre-Atlantique influencées par les études de genre. Ces thèses conduisent à une dérive essentialiste (…) qui fait peser sur notre société un risque identitaire, communautariste, séparatiste que nous combattons. J’aimerais avoir votre sentiment sur le degré d’atteinte de l’université et les moyens d’y remédier ».
À cette question évidemment pertinente et urgente, Olivier Laboux concède qu’il y une montée du dogmatisme, qu’il en a fait les frais au sein de son université mais qu’il s’agit d’épiphénomènes qui méritent la vigilance de tous sans tomber dans la censure car « la valeur suprême c’est la liberté ».
Pour Olivier LABOUX la liberté est la seule réponse possible pour sauvegarder la démocratie dans nos universités.
Républicains de progrès, nous sommes plus que jamais vigilants !@BrunoStuder67 @jmblanquer @VidalFrederique @JeanCASTEX @EmmanuelMacron @CPUniversite pic.twitter.com/rlDpLxJJGg
— F Cormier Bouligeon (@FCBDeputeduCher) July 29, 2020
Qui va sauver l’université?
Liberté. Cette valeur n’était évidemment pas remise en cause par la question du député Cormier-Bouligeon, bien au contraire. La liberté est un droit constitutionnel qui est justement menacé par la diffusion de la philosophie post-moderne au sein de l’université française. Libertés d’opinion, d’expression et même de conscience sont régulièrement mises à l’épreuve par des manifestations de la cancel-culture anglo-saxonne dans l’enceinte de l’université. Bref, Olivier Laboux n’apportera pas de propositions concrètes pour renverser la vapeur et reconquérir les territoires perdus de l’université française. Ce n’est donc pas du côté de la Conférence des Présidents d’Universités qu’il faut aller chercher le salut.
Dans une tribune parue ce 21 août dans le célèbre magazine australien Quillette, deux chercheurs français : le Dr. Andreas Bikfalvi, directeur d’un département de recherche en oncologie à l’INSERM et le Dr. Marcel Kuntz, Directeur d’un département de recherche en biotechnologie végétale au CNRS, lancent un appel aux universitaires du monde entier : « Il faut résister à cette vague américaine qui « injecte le tribalisme racial dans la science ». Alors que beaucoup pensent que seules les sciences humaines et sociales sont touchées, les deux chercheurs rappellent que les sciences dites « dures » ne sont pas en reste ; sciences, technologies, ingénierie et mathématiques (STEM) sont « graduellement métastasées par la racialisation du discours ».
« La mission de la science est de décrire le monde aussi précisément que possible, y compris en ce qui concerne la discrimination raciale et plus généralement les questions sociales. Mais la racialisation des discours nuit à notre capacité à mener des enquêtes précises, car elle menace de transformer la science en un sous-ensemble de l’activisme » ajoutent-ils.
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Cette tribune a été largement relayée par la communauté scientifique dans le monde anglo-saxon, pourtant assez généralement dominé par la doctrine post-moderne et donc le discours « woke », mais elle a eu peu ou pas d’écho en France. Les temps sont durs pour ceux qui osent critiquer les théories importées des États-Unis. Si leur parole est qualifiée dissidente, cela ne signifie-t-il pas qu’en France également, la guerre culturelle est déjà perdue dans les universités françaises?
Isabelle Barbéris, Alain Finkielkraut, Stéphane Dorin, Sylviane Agacinski, Fatiha Agag-Boudjahlat, Jean-François Braunstein ou encore plus récemment Laurent Bouvet, François Hollande, Bernard Rougier, Peggy Sastre… Voici une liste de personnalités et d’intellectuels désormais considérés comme pestiférés par les tenants du « wokisme universitaire ». Une liste qui s’allonge à mesure que les penseurs américains et leurs VRP en France sont célébrés ou tolérés par les universités et les médias locaux. Résister à l’impérialisme d’une culture racialiste, multiculturaliste, dogmatique, dénoncer la normalisation de discours pseudo-scientifiques et affirmer son attachement au libéralisme du marché des idées français vaut persécution, diffamation, censure, menaces… dans une indifférence quasi générale.
Les conseils de lecture de Science Po Paris
Nombre d’institutions de l’enseignement supérieur semblent déjà acquises aux théories « woke ». A Sciences Po Paris, école supérieure supposée être d’excellence, l’heure n’est pas au réveil mais plutôt à « l’éveil » par la lecture d’une liste de livres « anti-racistes » issus de la culture américaine. Pour preuve cette liste de lectures communiquée pendant l’été.
On y trouve le désormais célèbre essai La fragilité blanche de Robin Diangelo, pour qui être blanc c’est naître raciste à tel point « qu’une identité positive blanche est un objectif impossible à atteindre », ou encore le fameux essai d’Ibram X. Kendi évoqué en début d’article.
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Tout comme Sciences Po, d’autres écoles supérieures françaises diffusent ces concepts « woke » autour de la « race », du genre ou encore de l’identité sexuelle à leurs milliers d’abonnés sur les réseaux sociaux. En procédant de la sorte, le « wokisme » se trouve légitimé par l’enseignement supérieur français, quand bien même ces nouveaux « savoirs » refusent de se soumettre au débat, à la critique et à l’évaluation. Une nouvelle fois : y a-t-il un pilote à bord des universités françaises ?
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