On n’a pas besoin d’être une personne réelle pour être la cible de la cancel culture. Dernier exemple, un emoji de Facebook est accusé par la gauche d’être une arme dévastatrice au service de la droite populiste.
Oubliez Pepe le putois, Harry Potter, Astérix et Christophe Colomb. On a trouvé la dernière victime de la cancel culture, certainement la toute dernière de l’année. Il a fallu aller très loin, en Nouvelle-Zélande, sur le site the spinoff. Son contributeur, George Driver, nous explique à quel point l’emoji « haha »de Facebook et son cousin « tears of joy » ont le fond mauvais, et qu’il serait grand temps de les supprimer.
Du populisme – jusqu’aux larmes
Au tout départ sur Facebook, on pouvait partir à la pêche aux likes (symbolisés par un pouce bleu) en publiant photos en maillot de bain ou traits d’esprit (en fonction du domaine dans lequel on se sentait le plus à l’aise). Puis Mark Zuckerberg a un peu complexifié la chose en ajoutant de petites nuances avec les symboles « j’adore » (un cœur rouge) et le haha, petite tête jaune riante et un brin sarcastique. Tout cela peut paraître bien futile pour le commun des gens tenus éloignés des réseaux sociaux, mais aux yeux de notre contributeur néo-zélandais, ce petit symbole permet de signaler son ricanement et son mépris en ligne, surtout quand on le dépose sur un article favorable à #MeToo ou sur un autre dénonçant le réchauffement climatique. Driver fait même le lien entre la désignation du tears of joy (petit symbole rieur lui aussi, mais jusqu’aux larmes) par l’Oxford English Dictionary comme mot de l’année en 2015, et le triomphe, un an plus tard, de la « post-vérité ». En gros, ces emoji, « armes de la droite dans les guerres culturelles », auraient permis les victoires électorales du Brexit et de Trump.
Un rire diabolique
En avançant dans la lecture, on découvre qu’en réalité, ce petit symbole fait l’objet d’une diabolisation déjà ancienne chez certains beaux esprits anglo-saxons. En 2016, Abi Wilkinson, dans The Guardian, le qualifiait de « petit connard jaune odieux et gloussant » et semblait en faire des cauchemars la nuit : « Quand je regarde son visage jaune, je vois les sourires narquois détestables et insouciants de Nigel Farage et Boris Johnson dansant joyeusement à travers le chaos actuel – sautant, sautant et sautant par-dessus les fissures de la société qu’ils ont aidé à creuser et à s’élargir, en toute sécurité, sachant qu’ils s’en sortiront personnellement, quoi qu’il arrive ». Driver cite aussi un religieux bangladais qui a publié une fatwa au sujet de l’emoji, disant à ses 3 millions de followers que « si votre réaction visait à se moquer ou à ridiculiser les personnes qui ont publié ou fait des commentaires sur les réseaux sociaux, c’est totalement interdit en Islam ». Le contributeur de the spinoff doit être très heureux d’avoir trouvé un allié dans une autre civilisation : si l’emoji attire la colère d’autant de cinglés, c’est qu’il mérite certainement d’être aboli.
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En France, pays où le ricanement fait encore partie du socle commun que partagent la droite et la gauche, la lutte contre l’emoji haha est pour l’instant passée inaperçue. Certes, on peut avec Alain Finkielkraut, s’inquiéter du rire barbare pratiqué sur France Inter ; mais c’est quand même rassurant de se dire que demain matin, au réveil, Charline Vanhoenacker rira encore à gorge déployé parce que Guillaume Meurice est allé capturer les dérapages droitiers d’un garçon-boucher à Rungis à cinq heures du matin – et ce, peut-être, jusqu’à la consommation des siècles.
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