Les filles vont-elles encore dans les piscines pour s’exhiber et les garçons pour être éblouis par leur beauté ? De moins en moins. L’ambiance frivole et érotique qui y régnait s’est dissipée comme par désenchantement. Le Sida dans les années 80, Internet et islamisme par la suite ont mis un terme à la parenthèse magique des années soixante où d’adorables nymphes bronzaient en lisant Les Cahiers du Cinéma et où il était possible de les aborder en leur demandant ce qu’elles pensaient de Lord Henry dans Le portrait de Dorian Gray. Elles veillaient à ne pas passer inaperçues, ni incultes.
Burkinisation des esprits
Nous assistons aujourd’hui à une burkinisation des esprits pire encore que celle des corps. Ne pas se faire remarquer, telle semble être la règle. Aussi bien en politique que sur les plages. La liberté est encore là, mais on s’en détourne, comme si chacun aspirait à un univers réglementé – et les règlements s’affichent de plus en plus insolemment à l’entrée des piscines – voire à un goulag mou. Le bikini, symbole de liberté pour les femmes, devient presque indécent. Et la drague si commune autrefois sur les plages s’apparente à du harcèlement sexuel. Les hommes veillent à ne pas apparaître comme des prédateurs et les femmes comme des proies faciles. Mieux vaut se dissimuler sur un réseau social spécialisé dans les rencontres ou se laisser aller dans des beuveries.
Princesses saoudiennes en bikini
Je me souviens de princesses saoudiennes en bikini à Ryad et d’étudiantes en mini-jupe à Téhéran : l’idée de porter un burkini ne leur aurait pas traversé l’esprit. L’islam n’est pas seul en cause dans cette course à l’esclavage. Ce qui s’est produit à l’aube du XXI siècle, personne n’est en mesure d’en décerner les causes. Mais les piscines et les plages sont des lieux idéaux pour observer ces mutations. La liberté absolue qui y régnait et qui en faisait tout l’attrait ont laissé place à une anesthésie générale. Le regard lui-même est devenu chaste : admirer la perfection du corps d’un adolescent ou d’une adolescente crée un malaise. Le narcissisme régresse : le boudin n’a plus honte d’être un boudin. Le raffinement érotique appartient à une ère révolue.
La piscine Deligny ne reviendra plus
Le burkini ne signifie pas seulement que l’islamisation gagne du terrain, mais que la grâce féminine s’estompe. Le même phénomène s’observe au cinéma. Il semble irréversible. Il y a certes encore des exceptions et des combats d’arrière-garde. Mais l’époque où des jeunes filles graciles plongeaient nues dans la piscine Deligny, ne reviendra plus. D’ailleurs, elle aussi a coulé dans la Seine à la fin du vingtième siècle, emportant avec elle beaucoup du glamour parisien et un peu du souffle libertaire qui nous animait.
Soumission et dépression
Ne nous reste plus maintenant qu’à nous comporter en enfants sages, en adultes précautionneux et à feindre une joie factice. Le prix à payer sera soit l’asservissement à une religion qui nous est étrangère et ne veut pas nécessairement notre bien, soit une dépression généralisée. Et plus vraisemblablement encore les deux ensemble !
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