Le régime des mollahs, utlra-conservateur et théocratique, menace la stabilité et la prospérité de tout le Moyen Orient. La France et ses alliés doivent se montrer fermes face aux provocations et actes d’agression des Iraniens. Sans fermer la porte à un dialogue éventuel. L’analyse de Gabriel Robin.
La crise au Moyen-Orient met en lumière un risque croissant d’emballement que nous ne pouvons plus nous permettre de négliger.. Par son action déstabilisatrice dans la région mais aussi au-delà, l’Iran est l’un des principaux responsables de cette situation. Une position ferme doit être adoptée à l’encontre du régime de Téhéran, tout en laissant ouverte la porte d’un dialogue. Il en va de la sécurité et de la prospérité mondiales. Le 13 avril dernier, l’Iran a notamment visé Israël dans une attaque sans précédent menée à l’aide de 350 drones et missiles. Si la quasi-totalité de ces derniers a été interceptée par le Dôme de fer israélien, il n’en reste pas moins que Téhéran joue un jeu dangereux. En retour, l’Etat hébreu a envoyé, le 19 avril, des drones frapper une base militaire dans la région d’Ispahan. Cette ville, dont les roses ont été immortalisées par un poème de Leconte de Lisle, transporte aujourd’hui une odeur de mort, comme la région dans son ensemble où les acteurs étatiques comme les organisations transnationales semblent emportés dans une course vers l’abîme.
Durcir le ton face à l’Iran
En décidant de franchir un nouveau palier dans ses actions de déstabilisation, le régime des mollahs prend le risque d’une escalade militaire, sortant du cadre de l’affrontement par supplétifs interposés et opérations clandestines. Ce risque doit être conjuré à tout prix. Comment ? D’abord en faisant preuve de fermeté à l’égard du régime iranien. Celui-ci, souffrant d’une popularité en berne malgré un socle de soutien inébranlable et d’un mécontentement économique généralisé, pourrait être tenté par une fuite en avant afin de remobiliser la population autour du patriotisme et d’un ennemi désigné : Israël. Le risque est réel alors que les élites dirigeantes iraniennes sont resserrées autour d’un bunker ultra-conservateur et sécuritaire prêt à tout pour sauver les fondements du régime. Cette situation explosive doit nous inciter à l’action. Nous devons faire front commun et apporter une réponse collective, à l’échelle européenne, face à un régime de Téhéran qui pratique l’ingérence tous azimuts et à qui l’appétit vient en mangeant.
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Dans le cas français, une forme d’obligation morale doit nous servir d’incitation supplémentaire à l’action : quatre ressortissants français sont détenus en Iran. Parmi eux, Cécile Kohler, une enseignante de 39 ans en prison dans le pays depuis 2022, aux côtés de son compagnon Jacques Pâris. Le couple réalisait un voyage touristique dans le pays perse, un rêve qui s’est rapidement transformé en cauchemar, leurs proches vivant depuis dans l’incertitude. Un autre Français de 36 ans, Louis Arnaud, a également été emprisonné en 2022, étrangement libéré le 14 juin. Malgré des accusations vides de toute preuve, il croupissait depuis lors dans les geôles iraniennes. Aucune explication officielle n’a pour l’heure été donnée à cette libération, Louis Arnaud lui-même ne sachant pas selon les informations données par Le Point. Aurait-il été « échangé » avec Bashir Biazar arrêté le 3 juin dernier ? Ce soutien sans faille du régime et probable agent d’influence iranien avait bénéficié en 2022 du regroupement familial pour s’installer en France… La perquisition le 13 juin d’un local appartenant aux moujahidins du peuple à Saint-Ouen-l’Aumône a aussi pu peser dans la balance. Elle a abouti au placement en détention administrative de trois personnes faisant l’objet d’une interdiction de demeurer sur le territoire français.
La mésentente diplomatique franco-iranienne n’a rien d’inéluctable. A l’échelle du temps long, elle n’est que l’écume des choses et ne doit pas cacher une relation bilatérale riche et ancienne. En 1925, lorsque monte sur le trône Reza Shah Pahlavi, fondateur de la dynastie du même nom, après avoir renversé la dynastie qadjare, il prend pour modèle la France. Afin de moderniser son pays, il envoie ses officiers étudier à Saint-Cyr et ses médecins à la faculté de Lyon, fasciné qu’il est par notre pays. Plus proches de nous, les liens économiques sont longtemps restés étroits, même s’ils se trouvent aujourd’hui au plus bas. La France était en 2002 le 3e fournisseur de l’Iran, avec 8,5 % des importations iraniennes et son 7e client avec 3,5 % des exportations iraniennes. Les exportations françaises étaient particulièrement dynamiques dans les secteurs de l’industrie automobile, de la pharmacie et de l’industrie pétrolière. PSA y fait assembler ses modèles Xantia, 206 et 405, alors que Renault y prépare le lancement de sa Logan sur un marché très dynamique. Le groupe PSA a gagné des parts de marché non négligeables au cours de la première décennie des années 2000, et ses marques Peugeot et Citroën forment des sociétés communes en Iran. C’était avant que le groupe annonce son intention de quitter le pays en 2018 en raison de l’embargo appliqué suite à l’intensification de la répression politique à l’encontre de ses citoyens. Il est temps de poser les premices du rétablissement de relations saines et profitables à tous.
Iran : la menace globale
Au-delà du caractère théocratique et rétrograde du régime des mollahs c’est la stabilité et la prospérité de la région qui sont menacées. Depuis les années 1980, l’Iran a tissé une vaste toile d’alliances, dans un arc qui va des rives de la Méditerranée orientale à l’Irak, décrit par Téhéran comme « l’axe de la résistance. » L’étendard de la défense des communautés chiites de la région a servi de paravent à des intérêts géostratégiques bien compris. Dans le pays du Cèdre, cette influence iranienne néfaste est ancienne. Téhéran forme et finance le mal nommé « parti de Dieu », à savoir le Hezbollah, devenu une armée quasi-professionnelle de 30 000 hommes, dont la branche politique a peu à peu rongé de l’intérieur les institutions libanaises. La guerre à Gaza a réactivé le front entre Israël et le sud du Liban, que le Hezbollah utilise pour faire diversion et fixer une partie des troupes israéliennes sur ce théâtre d’opérations. Près de 100 000 habitants du nord d’Israël ont dû abandonner leur foyer depuis le regain de tensions dans la zone frontalière. Mais Téhéran ne se cantonne pas à la supposée défense des chiites en danger. Le Hamas sunnite est largement financé et soutenu par l’Iran, qui arriverait à faire passer des armes et des munitions depuis la frontière égyptienne. Les autorités égyptiennes déploient des efforts importants pour sécuriser le Sinaï, et ces efforts commencent à porter quelques fruits. Certaines zones de la péninsule restent toutefois poreuses, et ouvrent la voie à des actions criminelles de toutes sortes. Il se pourrait que l’attaque du 7 octobre dernier en Israël ait bénéficié d’un appui iranien, sans que l’étendue de celui-ci ne puisse aujourd’hui être décrite avec exactitude.
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Les risques que font peser l’action de l’Iran hors de ses frontières ont une portée mondiale, notamment à travers le cours du baril de pétrole. À travers le soutien aux Houthis, mouvement chiite yéménite contrôlant une partie du pays, l’Iran bénéficie d’un levier de pression qui lui permet d’entraver les flux du commerce maritime mondial en mer Rouge. Face à la multiplication des attaques des rebelles houthis, l’armateur français CMA CGM a annoncé en décembre 2023 suspendre le passage de ses porte-conteneurs par la mer Rouge. 12% du commerce international transite par le détroit de Bab al-Mandeb, qui sépare la péninsule arabique de l’Afrique. Notre pays a décidé d’intervenir dans le cadre de l’opération Aspides. Depuis quelques jours, les attaques sont moins fréquentes, la réussite de cette opération se mesurera dans la durée. Cette réponse était nécessaire. D’autant plus nécessaire que l’Iran pourrait poser un pied sur l’autre rivage de la mer Rouge en raison de son implication croissante dans la guerre civile soudanaise, qui déchire le pays depuis un an maintenant. La crise humanitaire est sans précédent : la moitié des 25 millions d’habitants que compte le pays a besoin d’une assistance humanitaire, et plus de 8 millions de personnes ont été forcées de fuir à l’intérieur des frontières nationales ou dans les pays voisins. Dans ce conflit fratricide, l’Iran a choisi le camp du général Al-Burhane, à qui elle fournit des drones, éloignant les belligérants de la table des négociations. La fourniture de drones est aujourd’hui devenue un outil de déstabilisation majeur de la part de l’Iran : la Russie s’en sert dans sa guerre d’invasion en Ukraine tandis que l’Ethiopie les utilise dans ses opérations de répression sanglante contre les milices amharas. Cette situation n’est plus tolérable.
Sanctions européennes : la voie à suivre
La stratégie à appliquer est claire, même si son exécution nécessitera sans doute tact et habileté : faire preuve de fermeté à l’égard de l’Iran sans précipiter la région tout entière dans la spirale de la violence. L’Union européenne a décidé d’appliquer de nouvelles sanctions à l’égard de l’Iran, qui visent notamment les missiles et les drones que l’Iran fournit à ses intermédiaires dans la région. Le président Emmanuel Macron a déclaré à cette occasion qu’il s’agissait d’un « devoir pour l’UE » tandis que le Haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Josep Borrell, soulignait que le but visé était de « nous écarter du bord du précipice ». Ces mesures vont dans le bon sens. C’est en effet une fermeté habilement dosée ne fermant pas la porte à d’éventuelles négociations, qui écartera du précipice la région. L’ingérence croissante de l’Iran n’a rien d’une irrésistible ascension. Il faut ramener tous les acteurs à la raison, en gardant à l’esprit qu’une partie non négligeable de la population iranienne ne suit pas les divagations eschatologiques de ses dirigeants, comme le prouve une participation électorale en chute libre depuis maintenant plusieurs scrutins. Il faut faire le pari de la raison, avec lucidité et sans angélisme.
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