Si comme notre collaboratrice, votre girouette politique n’indique plus le nord, si Droite et Gauche vous semblent inversées, la lecture de Face à une guerre sainte de Sylviane Agacinski, et surtout des comptes-rendus qui en sont faits, vous confortera dans vos hypothèses…
Au commencement étaient la Droite et la Gauche. Puis certaines, au nom du féminisme, ont boycotté les « féministes blanches », Simone de Beauvoir, Elisabeth Badinter ou encore Sylviane Agacinski : rappelez-vous l’annulation de la conférence de cette dernière sur la PMA à l’université de Bordeaux en 2019, sous pression des organisations LGBT. Même Mélenchon, à l’époque, s’en était indigné, avec les accents sincères du tartuffe accompli.
Les médias qui ont rendu compte de ce petit livre — mais un grand bond intellectuel — ne se la jouent guère à gauche. Le Figaro, via le papier d’Eugénie Bastié « La gauche, le voile et le retour de la nation », La Croix, « Le voilement n’est rien d’autre qu’une entreprise sexiste » , ou encore le 28 minutes d’Arte, sont autant de lectures et d’analyses pertinentes qui rendent aberrant — et significatif — le silence des médias autoproclamés de gauche. L’épouse de Lionel Jospin, horresco referens, serait-elle persona non grata à Libé, à L’Obs ou au Monde — sans parler des Inrocks ?
Qu’est-ce donc qui provoque ces injures et cette censure de la gauche envers des femmes « de sa propre famille politique », comme dit Eugénie Bastié ?
Face à une guerre sainte part d’un constat : « La France n’a pas [de] problème avec l’islam ni avec les musulmans, elle a un problème avec l’islamisme… C’est la revendication d’une culture séparée quand ses symboles se chargent d’une signification indiscutablement sexiste, voire d’une franche hostilité au judaïsme, au christianisme et à la France laïque ».
Sylviane Agacinski dresse un rapide (mais efficace) historique sur la relation entre le politique et le religieux pour tenter d’expliquer (et l’explication d’un processus n’est ni une attaque ni une compromission) la montée d’un islam politisé en France. Faillite de l’école, rôle des instances européennes, ou encore responsabilité du métavers galopant, toutes les étapes du processus d’islamisation et de radicalisation sont évoquées.
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Mais là n’est pas le propos principal.
A partir du procès des responsables des attentats du 13 novembre, elle rend tangible l’incommunicabilité dans une France qu’elle « angoisse de voir déchirée ». « Il n’y aura aucune communication possible entre le militant du jihad et de l’Etat de droit qu’il attaque. Il n’y a pas de monde commun entre les deux ». L’islam fondamentaliste, qu’il soit celui d’Al-Qaida ou des Frères Musulmans, est bâti sur une imbrication du politique et du religieux, alors que la tradition française est issue d’une progressive désacralisation du pouvoir dont le christianisme est l’alpha et l’exécution de Louis XVI l’oméga.
C’est dans la lutte du christianisme contre le paganisme — contre la divinisation des empereurs romains — qu’elle fait commencer « un certain désenchantement du monde…, avec l’avènement de l’Esprit, le détachement d’un monde désacralisé et la laïcisation du pouvoir politique ». Elle retrace l’évolution des concepts politiques et idéologiques qui, dans l’islamisme et le jihad, permettent un semblant de « ré-enchantement » du monde via un « regain de virilisme » que le jihad retisse via des notions sacrificielles et dont l’équivalent féminin est le voile.
Et là est le hic : Sylviane Agacinski, en parfaite philosophe qui ne s’est jamais vraiment détournée des Lettres, maîtrise l’art du pléonasme et de l’oxymore : « Non seulement le voilement des femmes fait partie d’une culture de la séparation, de la mise à l’écart des femmes, mais la chose même — le voile — est devenue un objet de litige et une cause de division sociale et politique. Cette division n’est pas née d’un quiproquo, elle a été voulue par les islamistes ».
Le christianisme primitif utilisait le voile comme marqueur de la hiérarchie masculin/féminin. La philosophe en avait déjà dévoilé toutes les significations (Métaphysique des sexes. Masculin/féminin aux sources du christianisme). Là encore, retour historique : de Pandore à la pièce de Tertullien (Le Voile des vierges) en passant par l’apôtre Paul… et surtout, en cette période où les actrices invitent à montrer sa chevelure, un petit rappel des premiers dévoilements qui ont eu lieu dès le début du XXème siècle. Nous avons la mémoire courte et nous avons oublié « l’Egyptienne Huda Sharawi en 1923, la Tunisienne Bchira Ben Mrad et la Marocaine Malica al-Fassi ».
Alors comment expliquer ce retour du voile qui n’est pas que le fait de « quelques filles rebelles ou endoctrinées » comme le pensait au départ la philosophe, de son propre aveu ?
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Ce sont les Frères musulmans qui ont modélisé le hijab, ce « rideau », cette « chose couvrante », étymologiquement. Or, le voilement, bien que destiné à cacher, a l’effet inverse : il exhibe. Au théâtre, le rideau n’accentue que davantage l’aspect déterminant de l’arrière-scène. Ce voile, « symbole venu du fond des temps », est devenu le casus belli des questions identitaires et juridiques de nombre de débats. Le voile « n’est pas un banal vêtement féminin », il est la cristallisation des accusations d’islamophobie portées contre la France. Alors, pourquoi une large partie de la gauche ignore-t-elle (quand elle ne lui tombe pas dessus) Sylviane Agacinski ?
Parce qu’elle rend aussi compte de la compromission d’une certaine gauche qui, tentant de se prémunir de l’accusation d’islamophobie, « par crainte, de paraître hostile aux musulmans, se [sent] obligé[e] de défendre les revendications islamistes ». « A priori, les islamismes n’avaient rien pour séduire la gauche et a fortiori la gauche radicale… ». Alors quel processus rhétorique fait donc dire à certains et certaines qu’il fait beau lorsqu’il pleut ?
Un pari électoraliste ? « La complaisance à l’égard des courants islamistes s’appuie parfois sur l’illusion qu’ils pourront constituer une force insurrectionnelle mobilisable dans la perspective de futurs combats anticapitalistes », explique la philosophe. Le voile est ainsi devenu le diviseur non-commun entre les féministes historiques (qui défendent les droits des femmes) et les meufministes si je puis dire, ce.l.l.e.s et ce.u.x.e.s qui militent pour la féminisation du droit, brochettes de barbecue à la main.
Sylviane Agacinski, du coup, est une nouvelle Cassandre à bâillonner d’urgence. Elle nous met en garde contre l’hubris, elle nous rappelle l’Iran et l’établissement de la République islamiste, et la facilité avec laquelle Erdogan a balayé en quelques années à peine l’héritage d’Atatürk (l’interdiction de la polygamie ou encore le droit de vote féminin de 1934). Partout la Bête immonde — la vraie — guette. À la fin de son brillant petit livre, le lecteur ne peut que se demander si la curiosité qu’elle avait formulée en préambule n’est pas déjà sa propre réponse déguisée : « J’ai voulu explorer le phénomène de ce retour pour voir au nom de quoi notre culture éthique, juridique et politique devait et pouvait lui résister ou bien si, déjà arrivés à un point de non-retour, nous étions engagés sur la voie d’une société multiculturaliste ». Une hypothèse qui lui fait horreur.
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