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Fabius, le combat de trop ?


Qui donc a conseillé à Laurent Fabius d’aller affronter Nicolas Sarkozy, mardi soir à la télévision ? Son entourage ? Celui du candidat socialiste à l’élection présidentielle ? Ou bien s’est-t-il dit qu’il pouvait fort bien relever ce défi qui constituerait – car il ne doutait pas qu’il en sortirait triomphant – un excellent levier pour ses prochaines manœuvres, après la victoire de M. Hollande ?

Fabius est assez grand, solidement bâti sans qu’il y paraisse ; ses mains de pianiste manient fort bien la raquette de tennis et la bride d’un cheval. Il s’entretient. Or, quand il a paru à l’écran, l’autre soir, on l’a vu alourdi, le visage soufflé, le corps pesant. Mieux habillé, certes, que Nicolas Sarkozy, lequel paraissait avoir dérobé sa veste à un roulottier roumain, mais dissimulant mal une forme de malaise, une crainte : Sarkozy l’attendait à sa table, et l’accueillit comme un joueur tranquille invite à le rejoindre un ancien partenaire depuis longtemps éloigné des tapis. Et c’est bien cela qui fut fatal à Laurent, autrefois magnifique : une trop longue absence. On le signale ici, on le cite là, mais jamais dans une grande circonstance et dans un premier rôle. Voilà combien d’années que cet homme si brillant est devenu si atrocement vain ? Fallait-il qu’il fût désespéré pour qu’il choisît de rallier M. Strauss-Kahn, personnage secondaire de la scène politique, dont il dit aujourd’hui, sans rire, qu’il l’a déçu ! Quelles ne furent pas ses affres, lorsqu’il dut reconnaître la victoire de François Hollande, et lui offrir ses services ! Son intelligence erratique n’est plus vouée qu’aux servitudes hollandaises. Il s’est loué pour rien au prétendant socialiste, il boira le calice jusqu’à la lie.

Il se risqua bien à quelques assauts, mais ceux-ci venaient de trop loin : Nicolas Sarkozy les attendait avec l’assurance des généraux qui connaissent par avance les plans de l’ennemi. Le président de la République avait retiré tous ses masques et présentait ses plaies. Tendu à l’extrême et cependant maître de ses nerfs, impérieux sans être arrogant, il s’est avancé sans crainte, offert aux critiques, voire aux offenses de ses contemporains, mais refusant à l’un de ses pairs le droit de le punir. Il était en sang, ses genoux laissaient sur le sol des traces rouges et des lambeaux de chair, mais il dominait Fabius, écartant d’un revers de la main l’homme qui ne sera jamais président de la République.

Par un curieux phénomène de rétro-téléportation, Fabius s’est à la fois incarné dans le couple Elkabbach-Duhamel de Cartes sur table et dans le Premier ministre outragé qu’il fut un jour de 1986 face à un Jacques Chirac narquois. C’est assez dire qu’il parut démodé. Son entourage lui avait préparé des répliques, des formules susceptibles de faire mal, de déstabiliser, voire d’offenser … 30 ans de retard ! Autre grave erreur : les références à deux prédécesseurs de l’actuel président de la République, Charles De Gaulle et François Mitterrand. Les rassembler dans une perspective commune, la providence et l’Histoire, relève dans le meilleur des cas de la myopie, dans le pire, de la mauvaise foi. D’une part il n’y a aucune commune mesure entre ces deux-là ; d’autre part, Nicolas Sarkozy ne se soucie guère de la postérité. Pour cette raison, s’il n’est pas réélu, il quittera définitivement la scène : on ne l’imagine pas en sénateur ! Il ne connaît que le temps immédiat, revendique l’aveu fulgurant et numérisé. Fabius, politicien de la Ve république, avait en face de lui un avatar post-moderne, un compte twitter, un abonné de facebook, informant en temps réel ses « amis » de ses états d’âme et mouvements d’humeur. Insaisissable, reconnaissant ses erreurs et fournissant aussitôt les moyens d’y remédier ! Le candidat-président produit des vagues d’oubli successives, qui recouvrent ses images anciennes et en découvrent d’autres, neuves, qui le montrent contrit et, aussitôt après, déterminé, prêt à bondir, à servir. Trop fort, trop rapide ! Innocent !

La politique aura réduit à rien cet homme plus surement qu’un puissant vice, ou qu’une atroce passion amoureuse. Son père, André Fabius, sut autrefois identifier dans un fouillis de l’hôtel Drouot une œuvre de Georges de la Tour, Madeleine pénitente, également connue sous le surnom de Madeleine Fabius, que possède la Galerie nationale de Washington. Elle montre une femme assise à sa table, plongée dans une sorte de contemplation accablée, caressant un crâne humain. La lueur d’une bougie dissimulée saisit la scène plus qu’elle ne l’éclaire, elle la distribue par séquences dramatiques, inonde un bras, une épaule, dessine une main en ombre chinoise, affleure le visage de profil, rejette tout le reste dans un noir d’encre. Les doigts de la main ombrée sont posés sur un crâne, ils établissent de cette manière un contact avec l’essentiel.
Laurent Fabius, mardi soir, a fait son dernier tour de piste. C’est ailleurs qu’il trouvera sa petite madeleine.



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Né à Paris, il n’est pas pressé d’y mourir, mais se livre tout de même à des repérages dans les cimetières (sa préférence va à Charonne). Feint souvent de comprendre, mais n’en tire aucune conclusion. Par ailleurs éditeur-paquageur, traducteur, auteur, amateur, élémenteur.

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