Sa cause est entendue – et indéfendable. Et pourtant Fabien Roussel en imposant sa voix a chassé l’ennui de la campagne présidentielle. Par une folle ironie, il semble neuf – un comble pour un communiste, non ?
De tous les candidats, c’est le moins sinistre – et le plus théâtral.
Entre lui et Macron, il n’y a personne – si ! une procession de raseurs qui se poussent du col devant un micro, la barbe ! Candidat du PCF, Fabien Roussel fait campagne à la première personne du singulier ; il est le seul, avec Macron. Le seul à avoir encore une idée du bonheur et à se délier d’une phraséologie du déclin qui affecte tous ses rivaux – pour un communiste, c’est une prouesse.
Un communiste pas comme les autres…
Moins souverainiste que chauvin, plus réac que progressiste, il redore la faucille de Marianne et fait reluire le marteau du Parti communiste… français, oui, monsieur ! Né le 16 avril 1969 à Béthune, dans le Pas-de-Calais, communiste de père en fils, Roussel est secrétaire national du PCF depuis 2018 et député dans la 20e circonscription du Nord… c’est chaud, le Nord ! Par un trope hardi la mémoire du « Colonel Fabien », héros de la Résistance, s’invite jusque dans son prénom – et dans l’adresse parisienne du siège du Parti.
Partisan du nucléaire, loin de se faire le sociologue amer et déprimé d’un pays malade, Roussel rompt avec les incantations fourbues qu’on nous inflige de tous les côtés. Le ciel est bleu si l’on ose… La valse ou le cha-cha-cha ? Il préfère le rigodon : salut camarades ! Bonjour la France ! Ni Marx ni Macron, moi ! Son slogan de campagne au temps du Front de gauche en 2004, c’était déjà : « Je vote communiste et je t’emmerde ». Son refrain intime, aujourd’hui, ce serait volontiers : « Auprès de ma blonde, qu’il fait bon, fait bon… » !
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… même si les fondamentaux sont toujours présents
Car à rebours de Macron, il parle de la France – et des « jours heureux » – comme d’un vin dont on aurait oublié le nom. Il se permet de nommer des saveurs et des allégeances coupables – le petit blanc, le crottin de Chavignol, la viande quand elle est rouge. Du tofu ? Non, merci ! Il cite Paul Éluard plutôt que Lénine. Il ne confond pas la Seine avec le Don paisible. Avec cela, il se méfie des étrangers. Contrairement à Pécresse qui semble réciter une leçon mal apprise, et à Marine Le Pen qui se farde en Mamie Nova, il dit ce qu’il aime, et il aime ce qu’il dit. « Avec cela, il a le défi guignol – « le ruissellement coûte cher, je propose le roussellement ! », olé !
Pourtant, sa cause est entendue – et indéfendable. Son programme en gros, et même en très gros, c’est celui de Marchais dans les années 1980 avec un zeste d’écologie et un (petit) doigt de wokisme. Le retour de l’ISF, la semaine de trente-deux heures, la retraite à 60 ans… On n’est pas dépaysé. Avec lui, le futur est plutôt antérieur, mais par une folle ironie, malgré les cillements et les aberrations d’antan, il semble neuf – frais comme une première cerise !
Un candidat qui se démarque par sa personnalité
Au-delà des sondages qui lui attribuent 4,5 % des intentions de vote – juste derrière Jadot, loin devant Hidalgo, bien fait ! –, il se détache par un style. Là où les autres peinent à se ressembler, il réussit à convaincre sans être crédible, et s’amuse d’être lui-même. Il est le dernier à gauche à se proclamer laïque, voire anticlérical, sans se draper d’obscures réticences. Il est, ha ! ha ! le candidat préféré de la droite. À sa façon, il fait sienne la posture préférée des Français : « Moi tout seul contre le reste du monde ! » Et il réveille au clairon les sénateurs cacochymes du PC qui roupillaient dans leur pardessus gris.
À vrai dire il se fiche du résultat. Plus ardent que méthodique, fier de son instinct, dopé par son succès, il ferraille comme un mousquetaire de comédie, il improvise, il surprend. Du culot, du panache, de l’envie. La modération n’est pas son fort, la modestie non plus. Avec cela, sans être borné, il est têtu – c’est un bélier, bon sang !
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Le communisme est un idéal… et une tradition française
Roussel semble vacciné contre l’échec et la désillusion. Comment peut-on être encore communiste !… Parce que c’est la seule façon d’exister, pardi ! Un joug sacré. Ce n’est pas le bon choix, petit, c’est le seul. Quitter le Parti, ce serait renoncer à soi. Ce n’est pas qu’il n’a rien appris – les crimes de Staline et la Kolyma, etc. – mais il conserve un idéal, il aime encore ses illusions, pas vous ?
Quand au congrès de Tours parut Clara Zetkin… c’est si loin tout ça ! Enraciné dans une histoire qui oscille entre réalisme et utopie, le PCF est une religion qui n’a pas réussi, c’est-à-dire une confrérie – une secte qui est entrée dans l’inventaire de notre patrimoine national. Ce que n’a pas compris Mélenchon qui reste un transfuge du PS – qu’il ait été le candidat du PC en 2012 et en 2017, c’était une mésalliance, ce fut une duperie. Les vieux militants n’ont pas oublié le SMS de Mélenchon à Pierre Laurent en mai 2017 juste avant leur rupture : « Vous êtes la mort et le néant » ! Mélenchon est un « social-traître », un apostat, un clown – on le savait.
Tout est perdu, et alors ?
Enfin désinhibé ! Marre de raser les murs ! Roussel se vante d’être libre. Vraiment ? On finirait par oublier qu’il est le héraut intrépide d’une vieille chanson : ode modérée aux labeurs, « travailler moins, mais travailler mieux », nationalisations des banques, des compagnies d’assurance et des services publics. Il lui suffit en pétillant de son œil bleu de se montrer fraternel, de blâmer l’adversaire et de nommer cette protestation, là, dans la gorge qui est celle de beaucoup de gens. On sait qu’il ne sera pas élu. Du coup on l’écoute sans frémir.
Ce qui plaît, c’est moins sa doctrine que le personnage qu’il incarne. On tomberait presque dans le panneau devant ce trublion qui refuse de croire que tout est joué, et que le siècle où nous respirons si mal soit vidé des anciennes promesses. Aragon se disait fou et communiste. Roussel n’est pas si naïf, il est surtout plus gai. Un histrion sans doute mais il faut l’être, si l’on veut réenchanter les dimanches de la classe ouvrière subjuguée par les violons de Mme Le Pen.
Le cadavre qu’il déterre est exquis. Demain, qui sait, il écrira ses mémoires, et l’on s’étonnera : pourquoi les causes perdues font-elles de si bons livres ?…