On aime beaucoup les communistes en ce moment. Un peu trop pour que cet enthousiasme soit honnête.
« Fabien Roussel renverse les stigmates. Les gens se sentent méprisés et culpabilisés dans leurs habitudes, lui a inversé le rapport de force. » Ce n’est pas n’importe qui, l’auteur de cette phrase, c’est Nicolas Mathieu, prix Goncourt 2018 pour Leurs enfants après eux et qui vient de sortir Connemara (Actes Sud). C’était lors de C politique, l’émission de la 5.
Il faut toujours se méfier des gens qui disent aimer les communistes quand ils ne sont pas communistes. C’est en général soit parce que les communistes, croient-ils, sont au fond du trou et ne font plus peur, soit parce qu’ils espèrent, par un coup de billard à trois bandes, gêner un autre candidat de gauche.
Dans les deux cas, ils se trompent, la candidature de Fabien Roussel n’est ni faite pour faire plaisir à la droite, ni pour compliquer la situation à gauche. Elle est là pour faire entendre la voix séculaire du parti qui est celui du monde du travail et qui n’est pas pour rien historiquement dans la construction de l’Etat providence, comme le rappelle le slogan de la campagne, « Les jours heureux », allusion directe au programme politique né dans la Résistance et qui donnera, notamment, naissance à la Sécurité Sociale. Quand la droite feint d’aimer Fabien Roussel, ne jamais oublier que son idée fixe, c’est de s’efforcer de le démanteler, cet Etat providence, que cette droite ait le visage d’un Macron réélu, d’une Pécresse qui est un clone du susnommé, ou bien pire.
Blanquer ou le baiser de la mort
Dernier exemple en date, dans le genre baiser de la mort, Blanquer qui félicite Fabien Roussel pour son « logiciel républicain. » A cette notable différence que Blanquer se fait une idée de la République qui consiste d’abord à traquer des fantasmes « islamogauchistes » ou « woke » à l’université, à créer de faux syndicats lycéens pour faire passer sa réforme aberrante sur le bac et surtout, surtout à mépriser les profs plutôt que de changer l’école. Dire qu’il a fallu un Ibizagate pour qu’il se décide à consulter les syndicats sur le prochain protocole sanitaire.
A lire aussi, Jean-Paul Brighelli: Qu’est donc la gauche devenue?
Bref, ce n’est certainement pas à Blanquer de délivrer des brevets de bon républicain du haut de sa morgue technocratique et avec ses clins d’œil appuyés aux thèmes de la droite nationale.
Le peuple qui manque
Mais revenons à l’écrivain Nicolas Mathieu : son analyse de la candidature de Fabien Roussel est aussi fine que sincère. Il ne faut pas laisser le peuple aux populistes (Le Pen, Zemmour.) Pour les populistes, le peuple est une variable d’ajustement dans un projet réactionnaire où il s’agit de jouer sur les pulsions plutôt que la raison. Il ne faut pas non plus laisser la place à certains, à gauche, qui oublient la notion de classe en préférant jouer sur une concurrence victimaire entre des minorités.
Ce peuple oublié, ce peuple qui manque (à tous les sens du terme : il manque du nécessaire et il manque dans la représentation politique), c’est le sujet des romans de Nicolas Mathieu, qu’il faut lire. Il sait de quoi il parle, il se définit lui-même comme « un transfuge de classe », celui qui était de ce peuple-là avant de devenir un écrivain.
J’ignore si Nicolas Mathieu votera communiste, et d’une certaine manière, je m’en moque. L’important est qu’il ait compris, et dit ce qui se jouait à travers la candidature de Fabien Roussel.