Aujourd’hui, l’immigration est considérée comme un bienfait en soi, indépendamment de ses modalités. La notion de « seuil de tolérance » a été délégitimée comme une incongruité « cocardière » qui ferait « vieille France ». Le curseur est à ce point déséquilibré que certains livres parlent de « préférence immigrée », de « racisme anti-blanc », de prolophobie, voire de francophobie.
Il aura fallu 30 ans au Front national pour obtenir le score de 18% que François Bayrou a presque atteint du jour au lendemain. Au rythme de progression de ce parti, de 11% aux européennes de 1984 à 18% à la présidentielle de 2012, il ne pourra manifestement pas prendre le pouvoir avant plusieurs siècles. Mais le climat de crédulité est tel, qu’il est sans cesse question de ce qui ferait « monter Le Pen ».
Ceux qui présentent la montée du populisme comme un phénomène inéluctable rejettent la faute sur Sarkozy. Il faudrait s’entendre. Il est peu crédible qu’une soi-disant campagne extrême droitière de Sarkozy ait fait monter Marine Le Pen à 18%, alors que ce score est inférieur aux 24% que les sondages lui prédisaient il y a un an.
Sur la durée, le FN a continûment revu ses prétentions à la baisse, tandis que l’extrême gauche a renforcé ses exigences et accru son audience. Il y a vingt ans, le programme du FN visait à inverser les flux migratoires, alors qu’il prêche aujourd’hui une immigration quasi-zéro. Autre indicateur, à l’époque, le programme de la droite visait à stopper l’immigration, alors qu’il prône aujourd’hui une immigration choisie. Cette inflexion ne correspond en rien à une extrême droitisation.
Ce sont des centristes comme Bayrou qui, influencés par l’extrême gauche, ont dérivé vers la gauche. Partisan du droit de vote des immigrés aux élections municipales, le MoDem promet à la banlieue un ministère de l’Egalité à la place de celui de l’Identité. Plus hostile que François Hollande à la proposition de Nicolas Sarkozy de réduire de moitié l’immigration légale, François Bayrou soutient par contre l’initiative de Hollande qui veut supprimer le mot « race » de la Constitution française.
En 1983, Alain Juppé réclamait une politique d’immigration très restrictive et voulait « encourager le retour au pays ». On ne peut donc croire ceux qui jugent que Sarkozy a transgressé la ligne républicaine de Jacques Chirac. La position adoptée par Chirac à partir de 1986, consistant à ne pas accepter les voix du FN et même à faire élire des communistes contre des candidats frontistes, lui avait été dictée par les intellectuels de gauche, mais elle ne reflète pas une tradition établie.
Si l’on remonte un peu dans le temps, on se souvient de la politique de concentration républicaine de Jules Ferry qui écartait les « minorités d’extrême gauche et d’extrême droite ». En 1956, le front républicain regroupait Chaban-Delmas et Mollet en excluant communistes et poujadistes. En septembre 1983, lors de l’émergence électorale du Front national, Raymond Aron s’opposa fermement au chantage antifasciste de ceux qui étaient alliés avec les communistes. Aux régionales de 1986, Edgar Faure déplorait cette nouvelle manie de « frapper d’un interdit incroyable des gens qui sont ici par la volonté du peuple ».
Telle est la principale position républicaine dans l’histoire de France. Elle fut battue en brèche, sous la pression idéologique de l’extrême gauche, à plusieurs reprises, et notamment au début du 20ème siècle par la politique de bloc républicain sous le combisme, puis de 1986 à 2006 par le chiraquisme.
On peut estimer justifiées ces deux mises en quarantaine de la seule extrême droite au profit de l’extrême gauche. Mais on ne peut pas réduire l’histoire de notre République à ces deux périodes.
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