En 2008, la sociologue Anne Muxel, en conclusion d’un ouvrage consacré au rôle des convictions politiques dans les relations amoureuses[1. Toi, Moi et la politique : amour et convictions, Seuil, 2008. ] s’avouait étonnée par l’une des principales conclusions de ses recherches, « le tropisme nettement marqué à gauche d’une obligation d’accord politique dans les liens affectifs » : « Les valeurs de tolérance et d’ouverture à l’autre occupent une place décisive dans la culture revendiquée de la gauche. Pourtant, l’homogamie politique y est nettement plus réclamée. » Les témoignages recueillis par Anne Muxel sont parfois glaçants. Ainsi Martine déclare : « Je n’aurais jamais pu vivre avec quelqu’un qui n’a pas les mêmes idées que moi. Ça me rend agressive. Ceux qui profèrent des idées de droite, j’ai envie de les tuer ! (Rires). »[access capability= »lire_inedits »]
Et Thierry, jeune normalien de son état, d’expliquer ce qui, selon lui, justifie cette intolérance à la droite de la part de ceux qui ont érigé la tolérance et l’ouverture à autrui en vertu suprême : l’amour que prétendent ressentir les gens de droite « est plus égocentré. Plus indifférent à autrui ». Bref, le vrai amour est degauche.
Comment comprendre que ceux qui proclament haut et fort leur attachement à l’Autre et leur respect de la différence supportent dans les faits moins bien celle-ci que n’importe quel conservateur borné ? Ces valeurs dominantes, au moins dans le discours, étant considérées comme étant a priori mieux incarnées par la gauche (le fameux « monopole du cœur »), peut-être que la droite, de son propre point de vue, manque nécessairement de pureté morale. Un homme ou une femme de droite, en acceptant l’idée de sa propre imperfection morale, serait ainsi plus apte qu’une femme ou un homme de gauche à accepter, même dans la sphère la plus intime, une opinion politique qui divergerait de la sienne. L’« hémiplégie morale » que dénonçait Ortega y Gasset dans le fait d’être seulement de gauche ou seulement de droite n’est de ce point de vue qu’une demi-vérité : la droite occidentale a un spectre moral plus large que la gauche − autrement dit, son hémiplégie morale est plus légère.
On trouvera confirmation de cette hypothèse dans l’ouvrage d’un universitaire « libéral » (dans le sens américain du terme) repenti[2. Jonathan Haidt, The Righteous Mind : Why Good People Are Divided by Politics and Religion. Pantheon Books, 2012.] paru en 2012 aux États-Unis, qui souligne que les progressistes américains rechignent à prendre au sérieux les valeurs défendues par les conservateurs (le respect de l’autorité et le patriotisme, notamment), et sont même surpris que l’on puisse les considérer comme des valeurs, quand les gens de droite, au contraire, n’éprouvent guère de difficultés à comprendre les valeurs des gens de gauche (équité et souci des plus faibles), et même à se déclarer attachés à elles.
Cependant, dans la droite ligne du triomphe planétaire du communautarisme, l’émergence, un peu partout en Occident, d’une « droite décomplexée » fière d’elle-même et qui « ne se laisse pas donner des leçons de morale » par la gauche, ne laisse rien présager de bon pour l’avenir de cette capacité d’empathie de la droite. Si la gauche n’a plus le monopole du cœur, elle risque de perdre aussi celui du pharisaïsme.[/access]
*Photo : cambiodefractal.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !