Jusqu’au 22 septembre, le musée de la Libération de Paris consacre une exposition au film Paris brûle-t-il ? de René Clément ou « Quand le cinéma réinvente la Libération »
La fiction est fatalement plus belle, plus éclatante, plus loyale, plus romantique et plus mensongère que la réalité. Elle est écrite par les vainqueurs avec les considérations du temps présent. Le passé n’est que le décor des ambitions actuelles et des nouveaux pouvoirs en place. Malgré tous ses défauts, ses approximations, sa vision forcément parcellaire, ses trucages, la fiction demeure notre seul maître-étalon. Elle seule, figera notre mémoire collective pour les années à venir.
Un mythe fondateur
Paris brûle-t-il ? sorti en 1966 n’aurait pas eu le même contenu s’il avait été produit dix ans avant ou vingt ans après. D’autres forces politiques à la manœuvre, d’autres rancœurs, d’autres réalités auraient jailli à l’écran et orienté le propos général du film vers une autre direction. En 1966, le gaullisme triomphant qui ne sait pas encore que son déclin est enclenché tient le pays d’une main de fer, les communistes ont encore les moyens de bloquer un tournage par une grève, les Américains poussent à la fraternité franco-allemande et les meurtrissures de la collaboration, de la déportation et de l’épuration n’intéressent pas tellement les acteurs en place. Vingt ans après la Libération, par calcul, par peur et par résilience, on a caché sous le tapis beaucoup de faits qui ne demandent qu’à entacher nos mythes fondateurs « résistantialistes ». Bientôt, la France va devoir regarder son Histoire en face et vivre avec. À l’été 1965, le tournage de Paris brûle-t-il ? mobilise des milliers de gardiens de la Paix pour assurer la sécurité, le préfet de Police Papon s’inquiète des désagréments que risqueraient de subir les Parisiens et d’ « une guerre bruyante dans les rues de Paris ». De la Place de la Concorde au boulevard Saint-Michel, Paris va réécrire sa Libération pour de faux. Et conserver coûte que coûte la grisaille de ses murs car le grand ravalement de la capitale a déjà commencé. Comme le raconte l’exposition visible en ce moment au musée de la Libération-Leclerc-Moulin du XIVème arrondissement, le scénario et les dialogues sont soumis à des pressions constantes et des intérêts divergents entre les barons du gaullisme, le PCF, la production américaine, l’équipe française composée de Jean Aurenche/Pierre Bost, la team américaine Vidal/Coppola et le commandant en chef de cet immense paquebot, René Clément qui s’est déjà illustré dans La Bataille du rail, un autre film de guerre à la gloire des cheminots. Les rapports entre le réalisateur français et Paul Graetz qui a emporté les droits face à Darryl F. Zannuck et à la Century Fox sont plus que houleux. Leurs échanges de courrier en attestent. Pour le producteur, il s’agit notamment de ne pas froisser Von Choltitz et de lui donner un visage « aimable ». Un tel tournage qui nécessite le recours à l’Armée pour l’usage des blindés ne peut se faire sans l’aval de l’Élysée. Les résistants de l’intérieur reprochent surtout la partialité de Lapierre et Collins, les auteurs du best-seller qui servira de base au scénario et surtout leur anticommunisme. René Clément doit alors composer en donnant la part belle aux gaullistes sans totalement déconsidérer l’action des communistes. L’équilibre est précaire, mais il y parvient en s’adjoignant les services de Rol-Tanguy en tant que conseiller historique. Les absents à cette fresque sont pourtant nombreux : Georges Bidault, l’Armée rouge, le régime de Vichy, la Nueve, etc…
Un budget colossal
Le projet est démesuré (il se veut l’égal d’un Jour le plus long à la française) comme l’explique l’historienne Sylvie Lindeperg : « Le budget de Paris brûle-t-il ? s’élève en effet à plusieurs dizaines de millions de francs, un montant colossal jamais encore atteint pour une réalisation française. Cette somme s’explique par l’ampleur du tournage, le travail gigantesque de reconstitution, les vingt mille figurants et le casting prestigieux que Graetz et la Paramount ont imposés à Clément ». Habilement en mariant images d’actualités et portraits psychologiques, Clément a filmé « sa » ou « une » Libération de Paris, certainement pas la plus fidèle, mais celle qui a construit, qu’on le veuille ou non, une partie de notre imaginaire. Chaban a les traits avantageux de Delon, il peut être satisfait. Orson Welles est un consul de Suède s’épongeant abondamment le front durant trois heures. Kirk Douglas campe un Patton stoïque. Claude Rich porte à merveille la moustache de Leclerc et Bruno Cremer enfile la vareuse de Rol comme personne. Belmondo est évidemment là. Et même Michel Sardou dans un rôle furtif de jeune résistant. Maurice Jarre a composé la musique du film et la chanson interprétée par Mireille Mathieu reste longtemps dans nos têtes. Il y a de forte chance que cet été encore, on regarde la énième retransmission de ce film à la télévision, pour célébrer les 80 ans de la Libération de Paris.
Entrée : 9 €. Informations pratiques sur le site du musée.
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