Voici venir l’été, période de transhumance. Les Parisiens sédentaires trouveront jusqu’en septembre de quoi se rafraîchir l’esprit au Pavillon de l’Arsenal, où vient se nicher, depuis avril, l’exposition Paris Animal, histoire et récits d’une ville vivante. Le propos en est passionnant. Car les deux commissaires-architectes, Henry Bony et Léa Mosconi, ne se sont pas contentés de brosser l’état des lieux actuel d’une cohabitation entre citadins et bêtes en tous genres (des rats d’égoûts aux chats domestiques) au sein d’une capitale en crise, plus que jamais soumise au militantisme écologique et aux diktats désastreux de sa Mairie.
Remise en perspective historique, le déroulé chronologique de Paris Animal nous conduit, au prisme du bestiaire citadin, de Lutèce au Paris médiéval, puis des logiques de contrôle, de loisir, de domestication que tisse la ville avec la faune, ce depuis la Renaissance jusqu’au Siècle industriel puis à la disparition progressive, mais inexorable, de l’exploitation animale dans le Paris de la Première guerre mondiale – et au-delà.
La limite de la manifestation, en tant qu’objet scénographique, tient (comme c’est souvent le cas) aux contraintes propres à la configuration du Pavillon de l’Arsenal proprement dit, et probablement aussi à de fortes contraintes budgétaires. Il reste que c’est toujours embêtant, dans une exposition, de devoir se contenter de fac-similés punaisés aux murs, pour vous dévoiler telle précieuse enluminure des Très riches Heures du duc de Berry, ou de regarder de mauvais tirages photographiques au lieu de pouvoir y admirer telle toile de maître conservée au Musée Carnavalet, et dont le prêt aurait satisfait l’œil.
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En fait, d’une matière bien plus nourrie et développée que ce parcours pour cette raison même intrinsèquement décevant, l’excellent catalogue se suffit à lui-même ! À travers une vingtaine de contributions (architecte, historien de l’environnement, ornithologue, archéozoologue (sic), géographe… – de Gilles Clément à Françoise Fromonot, d’Emma Spary à Nathalie Blanc pour ne citer qu’eux) les textes, répartis en quatre sections – Avant-hier : petite histoire d’une cohabitation ; Hier ; domestiquer la ville ; Aujourd’hui : Paris est animale ?; Demain : une ville vivante – font le récit foisonnant et palpitant de la relation de la ville à l’animal, depuis l’Antiquité jusqu’ à nos jours.
Vous y apprendrez, pêle-mêle : comment sont attelées les bêtes dans la Gaule romaine ; que le porc représente la moitié de l’alimentation carnée à Lutèce ; que les oiseaux domestiques les plus appréciés y sont l’oie, le canard, le pigeon, et surtout le coq et la poule ; que dans la religion romaine, le pater familias, principal acteur du culte, opère la mise à mort de l’animal sur l’autel domestique dans les grandes occasions, tout comme la première barbe ; que le chat est mal aimé des Latins ; qu’au Moyen-Age le poisson ne met que 34 heures en moyenne pour être acheminé à Paris depuis la mer ; que « la viande ovine occupe une place majeure dans la diète carnée des habitants du site de l’hôtel de Mongelas », au XVIème siècle ; que l’animal-ornement perturbe à la Renaissance les ordres classiques de l’architecture ; que l’eau des fontaines publiques crachée par les gueules d’animaux reste payante au début du XIXème siècle, et que les Parisiens n’ont droit qu’à 15 litres par jour, mais que Napoléon, qui aurait voulu qu’elle jaillisse de la trompe d’une fontaine-éléphant construite sur les ruines du fort de la Bastille, la rendra gratuite en 1812 ; que « la chasse et la vie qui gravitent autour participent (…) à la fabrique du paysage et du bâti », avec la merveilleuse architecture des pavillons de chasse ; qu’en 1615, un spectacle équestre (divertissement importé par Marie de Médicis en remplacement du tournoi, désormais interdit), attire, sur l’actuelle place des Vosges, quelques 70 000 spectateurs ; que Paris, au début du XXème siècle, compte près de 80 000 chevaux « dont on pourrait quasiment assimiler la gestion à celle de machines » ; que « les écrits de Buffon participent à véhiculer l’idée que les possibilités de domestication sont presque illimitées » ; qu’inhérent à son architecture, le cirque parisien est, somme toute, une invention récente – et probablement transitoire. Etc, etc.
On n’en finirait pas d’explorer la richesse thématique de l’ouvrage très complet, merveilleusement illustré, qui problématise la question animale jusqu’à son effacement dans la période contemporaine hors de la sphère domestique. Surgissent maintenant, liées aux nouveaux dispositifs d’écologie urbaine, des tentatives d’écopâturages (si, si !), des initiatives de fermes urbaines ou d’élevages, tandis que les espèces dites « non-désirées », ou invasives, prolifèrent. Et qu’on voit de moins en moins de moineaux dans Paris… « Les multiples études et projections convergent vers le constat d’une crise majeure du vivant, d’une défaunation de la Terre, pour reprendre le mot de la philosophe Virginie Maris, à savoir d’une extinction locale ou globale de populations ou d’espèces animales dans des proportions considérables ». Déjà que Paris se vide de ses habitants : si même les bêtes et les bestioles s’exilent, nous voilà bien !
À voir :
Exposition Paris Animal. Pavillon de l’Arsenal. Paris. Jusqu’au 3 septembre 2023.
À lire :
Catalogue de l’exposition Paris Animal. Histoire et récits d’une ville vivante, sous la direction de Henri Bony & Léa Mosconi. Edité par Pavillon de l’Arsenal. 255p.
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