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Le Dabe ne désespère pas Billancourt!

Jean Gabin. L’exposition, à Boulogne-Billancourt (92)


Le Dabe ne désespère pas Billancourt!
D.R.

Jusqu’au 10 juillet, l’espace Landowski au Musée des Années 30 de Boulogne-Billancourt retrace la carrière de Jean Gabin (1904-1976)


Quand notre pays cafarde, chaque citoyen français, lessivé par deux ans de pandémie, une guerre à nos portes et une présidentielle en porte-clés, cherche un guide. Un tuteur qui tiendrait debout. Un mec avec des principes et des valeurs, en somme. Un phare dans la nuit qui éclairerait les temps obscurs. Un chêne sur lequel on pourrait s’appuyer quelques jours, se reposer un instant, juste le temps de souffler, oublier tous les malfaisants et les truqueurs qui encombrent le poste et nous étouffent.

Des grèves du Front Populaire à la crise du pétrole, il aura accompagné notre nation

Ne cherchez plus…

Tous ces gesticulateurs indécents qui ont réponse à tout et finissent par indisposer un peuple passablement fatigué. Une figure pas trop toc, pas trop abîmée par les affaires et qui, miracle, ne se serait pas trop mal comportée par le passé. L’Histoire récente ne regorge pas d’une foule de personnalités qui ont agi en conscience et en responsabilité, comme disent aujourd’hui les communicants illettrés. On ne cherche pas de l’irréprochable, du transparent, de l’intello faisandé, du politicien-arcandier, du vertueux idéologue ou du saumâtre donneur de leçons. Seulement un type qui en impose par son parcours, sa carrière et ses actes. Ne cherchez plus, il se trouve au Musée des Années 30 de Boulogne-Billancourt dans une exposition rétrospective qui court jusqu’à l’été prochain. Il s’appelait Jean Gabin-Alexis Moncorgé. 96 films au compteur. 200 millions d’entrées. 1,74 mètre. Deux billes bleues, l’air taquin et une carrure d’empereur. Du caractère à revendre. Un solide appétit. Une passion pour les vaches, les chevaux et les casquettes. Père de famille exemplaire. Star du parlant. Pas très tendre avec Hollywood, il naviguait en père peinard dans un métier où la nouveauté et l’esbroufe attirent plus souvent la lumière que le talent et l’exigence morale. Il faisait exception à la règle des planqués. Le siècle avait quatre ans lorsqu’il a vu le jour à Paris. Il fut le héros de la Nouvelle Vague, celle des années 1930 bien avant que les jeunes turcs des Cahiers du Cinéma s’emparent de l’appellation.

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Un jour, j’espère que l’on apprendra sa chronologie dans les salles de classe. Que des petits écoliers de Sarcelles ou de Souillac colleront la bobine de l’acteur sur des frises géantes, à la manière des mérovingiens et des carolingiens. Les Français qui ont de la mémoire se souviennent de Gabin. Ils y pensent souvent. Qu’aurait-fait ou dit le Vieux dans notre aussi piteuse situation ?

Il tournait dans les studios comme d’autres pointaient à l’usine

Le Dabe économisait ses mots. Bien que marin, il n’avait pas la prétention de faire des phrases pour exprimer son agacement sur la marche du monde. Durant plus de quarante ans, il fut le porte-voix de personne. C’est un exploit dans les professions artistiques. Il ne brigua aucun mandat électif, ni aucun strapontin officiel. Il n’eut même pas le plaisir de profiter pleinement de son rêve agricole normand. Il tournait dans les studios comme d’autres pointaient à l’usine. Il ne gâchait pas sa salive en explications pseudo-intellectuelles sur la manière d’appréhender un personnage. Il respectait trop son public pour se vautrer dans ces impostures-là. Il était paysan et chansonnier, combattant et gambilleur, séducteur et fidèle, blessé et un peu cabot, prolétaire et grand bourgeois, casanier et médaillé militaire. Des grèves du Front Populaire à la crise du pétrole, il aura accompagné notre nation. De l’épopée ferroviaire aux mirages du Concorde, de l’exode rural aux HLM impersonnelles, il aura vu notre pays se transformer pour le meilleur ou le pire.

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Qui n’a pas aperçu sa silhouette tassée sur un banc en gare de Lisieux ou sa face barbouillée de charbon en conducteur de train est un martien ! Son idylle avec Marlène, sa participation aux combats de la Libération au sein de la 2ème DB du général Leclerc, sa traversée du désert après-guerre, l’apparition soudaine de sa crinière blanche ou son retour de flamme en taulier du septième art après le Grisbi se racontent encore à la veillée dans nos lointaines provinces. Ce gars-là était une pointure. Il avait été du voyage jusqu’à Berchtesgaden en chef de char et pas en smoking. Il avait vu de ses yeux délavés, le mortifère nid d’aigle. Alors, cette exposition très documentée en films, affiches et objets personnels est une manière de remonter le pendule de notre pays. D’y retrouver nos illusions perdues et le sens de la mesure. Voir la burette d’huile offerte par les cheminots à la fin du tournage de « La Bête humaine » (1938), la collection de lunettes à grosses montures en écaille, le manteau croisé « Du rififi à Paname » (1966), l’uniforme de second maître ou la malle militaire datant de son engagement au sein des Forces navales françaises libres touche en plein cœur.


Plus d’informations: https://www.boulognebillancourt.com/information-transversale/agenda/jean-gabin-lexposition-3077



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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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