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Roman-photo: à « Nous Deux », Marseille!


Roman-photo: à « Nous Deux », Marseille!
Photographie réalisée pour le roman-photo Il figlio rubato ("L'Enfant volé"), publié dans Bolero Film, n°1060, 1967. Photo: Arnoldo Mondadori Editore/ DR.

En rendant hommage au roman-photo, le Mucem expose la richesse de la littérature populaire tout en racontant l’art de vivre des Trente Glorieuses.


L’heure de la revanche des shampouineuses a sonné. Le Mucem (Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée) fait œuvre de salubrité publique en remettant à l’honneur le roman-photo dans une exposition qui réunit plus de 300 objets inédits : revues, films, maquettes, photographies originales… Ménagères, écolières, ouvrières et bourgeoises un brin fleur bleue, vous n’aurez désormais plus honte. Lire des romans-photos ne sera plus marqué du sceau de l’infamie. Les intellos pourront remballer leur quincaille idéologique et retourner à leurs chères études. Leur jugement se moquait depuis trop longtemps de votre droit à un quart d’heure de bonheur hebdomadaire, plus sûr que l’orgasme du samedi soir.

Le mépris, c’est fini

Le roman-photo, jadis méprisé, est de nos jours passé complètement sous silence, n’intéressant que quelques collectionneurs et fétichistes. Il faut dire que cette littérature authentiquement populaire a fini par sombrer sous les coups de la digitalisation et, sans doute aussi, de la perte d’une certaine innocence propre aux Trente Glorieuses. À l’exception notable, toutefois, de l’insubmersible Nous Deux qui continue à enregistrer des chiffres à faire pâlir de jalousie les journalistes d’investigation, avec un tirage autour de 350 000 exemplaires.
Le roman-photo a pourtant enchanté les foyers de l’après-guerre. Dans les années 1960, un Français sur trois les lisait. Nous Deux, lancé en 1947 par Cino Del Duca, un italien exilé en France, pape du sentimentalisme imprimé, dépassait régulièrement la barre du million d’exemplaires vendus avec des pics jusqu’à 1,5 million. Les patrons de presse avaient le sourire, roulaient en Cadillac, la machine à bluettes fonctionnait à plein régime et les dames en redemandaient toujours et encore.

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Personne n’était vraiment dupe de l’épaisse couche de guimauve qui enrobait ces histoires d’amours fabriquées en quantité quasi industrielle. Rencontres sirupeuses sur fond de mandoline, tragédies aux caisses du Monoprix, trahisons en zones pavillonnaires, baisers chastes et apollons sortis des usines, ces magazines ersatz de la dolce vita venaient éclaircir un quotidien souvent trop gris. Ils mettaient du baume au cœur, et l’espace d’un instant, donnaient un sentiment d’évasion aussi fugace que la carrière d’une starlette en topless sur la Croisette. L’espoir d’une vie meilleure et un romantisme totalement assumé passaient au travers de vignettes et de bulles, maquettées par des as de l’édition et de la photographie.

Aussi caricaturales qu’expressives, ces images d’un autre temps nous rappellent une époque tendre, qui refusait le cynisme. « Le roman-photo est un formidable sismographe de la société des Trente Glorieuses », souligne Frédérique Deschamps, journaliste et iconographe, l’une des deux commissaires de l’exposition. C’était léger, inconséquent, charmant et désuet à la fois : le roman-photo captait l’air du temps sans aucune pesanteur et n’avait pas vocation à éduquer ou à former les esprits.

Le roman-photo, l’art de l’intégration

Et pourtant, son impact sur les populations nouvellement arrivées en France n’a pas été négligeable. Nous sommes nombreux à nous souvenir, avec émotion, de nos grands-mères espagnoles, italiennes ou grecques qui peaufinaient leur niveau de français dans ces titres bon marché. La maîtrise de notre langue n’était en effet pas étrangère à une lecture assidue de ces pages où les stars du moment, Sophia Loren, Gina Lollobrigida, Dalida et Marie-José Nat prenaient la pose. Même Jean-Paul Belmondo n’a pas échappé au phénomène. Raymond Cauchetier, grand photographe de plateau de la Nouvelle Vague, réalisa un ciné-roman d’À bout de souffle, de Jean-Luc Godard. Publié en 1969 dans Le Parisien libéré, en 50 épisodes et composé de 400 photos de plateau, il met en scène sur papier le couple Bébél et Jean Seberg dans une rencontre insolite entre l’avant-garde cinématographique et la culture populaire.

Dès son origine, le roman-photo a suscité de vives controverses. Les communistes raillaient cette littérature à l’eau de rose, pas assez rouge et trop impérialiste à leur goût. Les cathos y voyaient une certaine décadence des mœurs et le bûcher des familles. Déjà à l’époque, les élites ne comprenaient rien à ce phénomène mondial. Leur méconnaissance des aspirations plébéiennes ne les prédisposait guère à saisir cet engouement.

Au cours des années 1970-1980, ce sont finalement les activistes, les rigolos, les anars et les libertins qui saisissent la portée subversive du roman-photo et lui donnent une odeur de soufre et de luxure. Hara-Kiri joue la carte de la parodie sexy et Satanik celle de l’érotico-sadique. Tantôt comique, tantôt scatologique, toujours outrancière et irrévérencieuse, cette littérature sert alors les intérêts les plus divers, outil politique ou objet de dérision alliant la forme surannée et le fond révolutionnaire.

Le roman-photo, c’est du sérieux

C’est que le roman-photo n’est frivole qu’en apparence. « Le sens de la révolte et des conflits sociaux y est depuis ses débuts régulièrement traité autour des questions du divorce, des droits des femmes au travail – et contrairement à ce que suggèrent nos a priori, il peut aussi quelquefois dénoncer une société matérialiste et superficielle. Le roman-photo mérite de ne pas être toujours subordonné à une image rétrograde, bien au contraire ! » recadre Marie-Charlotte Calafat, l’autre commissaire, directrice adjointe du département des collections et ressources documentaires du Mucem.

Parti d’Italie, le roman-photo va connaître un succès dans tous les pays du Sud (France, Espagne, Turquie, Liban, Grèce, Afrique du Nord, etc.), mais également aux Amériques, grâce à des techniques de production proches du cinéma, à l’utilisation de décors naturels, à la présence d’acteurs célèbres et à de gros moyens financiers.

Ayant réussi à mettre la main sur un véritable trésor de guerre, notamment le fonds Mondadori, composé de milliers de négatifs, le Mucem offre une plongée féérique dans l’imaginaire de ces faiseurs de papier et fait remonter, des roucoulades sucrées aux canulars du Professeur Choron, un monde englouti à découvrir absolument.

A voir : « Roman-Photo », jusqu’au 23 avril 2018 au Mucem à Marseille. 

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Janvier 2018 - #53

Article extrait du Magazine Causeur




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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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