Patrice Jean et Bruno Lafourcade ont commencé à se lire sans se connaître. Puis ils se sont écrit. Les Mauvais fils compile cet échange épistolaire entre deux écrivains qui ont, chacun à sa manière, déclaré la guerre à leur époque. Leur plume et leur humour prouvent que la correspondance littéraire n’est pas morte !
Sous l’hégémonie du progressisme et sur une scène littéraire qu’aseptisent la bien-pensance et le politiquement correct, le verbe périclite, la parole s’assèche. On ne se parle plus, on n’échange plus. Tout au plus s’envoie-t-on quelques signaux de pâle fumée aussitôt dissipés par les vapeurs toxiques du temps. On était donc résigné : on croyait les grandes correspondances littéraires, où s’échangent les idées avec la chair des mots, reléguées dans le passé. La correspondance de Flaubert repose dans les volumes de la Pléiade ; quant à Chardonne et Morand, ils ne s’écrivent plus depuis longtemps.
Nous voici heureusement détrompés avec Les Mauvais Fils. Patrice Jean et Bruno Lafourcade nous offrent un choix de lettres qu’ils se sont écrites ces dernières années. L’échange débute en 2017, année où, entrant tous deux dans la cinquantaine, ils se lient d’amitié et, « avec des fortunes diverses, tentent de sortir de l’ombre et de leurs nuits jumelles » ; il s’achève en 2022. Dans cette relation épistolaire, « on parle boutique » bien sûr, et on cause du monde littéraire. Mais surtout, on cherche à se connaître pour comprendre l’autre, son semblable et son frère. Et au-delà des anecdotes savoureuses, cette correspondance invite à se regarder soi-même avec autodérision. On pense également à Montaigne : « Qui se connaît, connaît aussi les autres, car chaque homme porte la forme entière de l’humaine condition. »
Dans La Vie des spectres, le dernier roman de Patrice Jean, un modeste héros oppose le bon sens à la bêtise contemporaine. Quant à Bruno Lafourcade, il a publié, avec le réalisateur Laurent Firode, Main basse sur le cinématographe, un essai qui torpille les lieux communs et les fables qui innervent le milieu du cinéma.
Après les avoir lus, Causeur les a fait parler.
Causeur. Comment est née votre amitié ?
Patrice Jean. J’ai été le premier à écrire à Bruno, via Messenger : j’avais lu son essai sur le suicide et voulais le féliciter. Je crois qu’il est la seule personne que j’aie jamais contactée de cette façon ! C’était le bon moment, nous allions tous les deux publier un nouveau roman auquel nous attachions beaucoup d’importance. Nous avons constaté que nous étions nés la même année, et que nous avions eu des parcours à la fois suffisamment
