La proposition de Jean-François Copé d’instaurer un examen d’entrée en sixième a suscité le tir de barrage que l’on pouvait attendre : idée passéiste, réactionnaire, régressive et j’en passe. Toutes les belles âmes de la gauche enseignante, les sociologues qui nous expliquent à longueur de temps qu’il faut cesser de discriminer les élèves défavorisés en leur imposant les grandes œuvres de la littérature, ceux qui nous jurent sans rire que le niveau monte, ceux qui ont cru malin de proclamer qu’il fallait placer l’enfant au centre du système, ont rivalisé dans l’indignation. Une « gesticulation politique », une manière de « flatter une partie de l’opinion extrêmement conservatrice », a estimé l’inénarrable François Dubet. Quant au PS, il a trouvé l’origine du désastre : le « sous-investissement chronique dont souffre l’école primaire ». Comme chacun sait, si l’école va mal, ce ne saurait être qu’en raison du manque de moyens. On est curieux de savoir où la gauche trouvera ces mythiques moyens si elle revient au pouvoir.
Un examen, quelle horreur ! Et pourquoi pas des notes et des classements tant qu’on y est. Alors que la droite et la gauche sont incapables d’envisager de sélectionner les étudiants à l’entrée de l’université, on ne va pas torturer à coups d’examen des gamins de dix ans. Autrement dit, il serait très étonnant que l’idée de Copé ait la moindre conséquence concrète. Ce serait traumatisant, discriminant et pour tout dire stigmatisant.
Je ne sais pas si l’examen d’entrée en sixième est la solution du problème. Mais cette levée de boucliers est consternante. Que nous disent les indignés ? Puisque nous n’avons pas de solution, ou pas de solution simple, il ne saurait y avoir de problème. Le réel pense mal ? Ignorons-le.
Il est vrai qu’on préfèrerait oublier certaines réalités. Observer qu’un nombre croissant d’élèves entre au collège sans savoir lire et écrire – et donc, a toutes les chances d’en sortir au même niveau -, c’est admettre que nous sommes impuissants à rendre effective « l’éducation pour tous », dont nous sommes, et à juste raison, si fiers.
Sauf à se résigner à la catastrophe, il faut bien que l’on se résigne à désigner clairement le mal. La démocratisation de l’enseignement a échoué, notamment parce que toute autorité a été proscrite comme réactionnaire et aussi parce que, sur certains territoires, la proportion d’élèves étrangers rend impossible l’acquisition du français par tous.
Il n’est pas question de se résigner mais de cesser de nier les évidences. À quoi cela sert-il de laisser des élèves suivre quatre années voire plus de scolarité pendant lesquels ils n’apprendront rien et empêcheront les autres d’apprendre ? A se rassurer ? À faire plaisir aux parents ? C’est ainsi qu’on a décrété qu’il fallait amener 80 % d’une classe d’âge au bac – Jean-Pierre Chevènement, inventeur du slogan, a été mieux inspiré. La vérité, c’est qu’on a amené le bac au niveau de 80 % des élèves et le résultat, c’est que le bac ne sert plus à rien. À l’arrivée, sous couvert d’égalité on a encore accru les inégalités puisque, bien sûr, les enfants des milieux aisés comptent peu d’illettrés dans leur classe. Mais peut-être faudrait-il, par souci démocratique, faire en sorte qu’ils apprennent un peu moins à lire ?
Il ne s’agit pas de laisser qui que ce soit sur le bord de la route. Mais accepter que des enfants poursuivent leur scolarité quand ils n’en sont pas capables, c’est se payer leur tête et en fin de compte les mépriser. Si on accepte que nous sommes désormais incapables d’apprendre à tous les enfants à lire, écrire et compter, autant fermer la boutique. Cette question qui engage notre avenir bien plus profondément que l’âge de la retraite devrait obséder nos gouvernants et ceux qui aspirent à l’être. En tout cas, cessons de croire que, tel le petit bonhomme de Sempé face à l’océan, on fera reculer les réalités déplaisantes en faisant comme si elles n’existaient pas.
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