Vous connaissez le quartier de La Madeleine à Evreux ? Non et vous ne perdez rien. Pourtant, si l’envie vous prenait d’y habiter, sachez que les loyers y sont ridiculement bas. Il y a quelques raisons à cela. Les poubelles débordent ; les éboueurs ne vont qu’occasionnellement à La Madeleine, découragés par les jets de pierres qui les visent. Le trafic de shit est l’une des principales ressources économiques du quartier qui connait, en conséquence, son lot de règlements de compte (beaucoup moins qu’à Marseille quand même…). Un quartier qu’on qualifie de « populaire » si on pense bien. Et de « sensible » ou « dangereux » si on pense mal.
J’y suis passé hier en voiture. Devant moi, il y avait un véhicule de police. Les flics devaient avoir faim. Ils se sont arrêtés devant un kebab pour acheter un chawarma. Tout près, sur le trottoir, un gamin de 4 ou 5 ans les regardait. Il leur a fait un doigt d’honneur. Les flics ont froncé les sourcils. Ils n’auraient pas dû. Un grand (son père, son frère ?) a surgi. Il va l’engueuler ? Lui flanquer une paire de baffes ? Pas du tout ! Car à La Madeleine les choses se passent autrement, conformément à des codes qui appartiennent en propre à ce quartier. Le type a commencé à insulter les flics.
Cet enfant est une victime
Je ne suis pas sûr d’avoir bien entendu. J’étais un peu loin. Mais il m’a semblé distinguer un « Enculés de flics ! ». En tout cas, les gesticulations de l’individu ne laissaient aucun doute sur l’amour qu’il portait aux forces de l’ordre. Sans réagir – une émeute est vite arrivée – les flics sont remontés dans leur véhicule et ont démarré aussitôt. J’ai fait de même. Je ne suis pas flic. Mais je suis étranger au quartier. Et il est à craindre que des habitants de La Madeleine n’aiment pas les étrangers…
Depuis, je ne peux m’empêcher de penser à l’enfant qui faisait le doigt d’honneur. Cinq ans et a priori la vie devant soi. Le bac un jour, peut-être ? La fac, pourquoi pas ? Le brevet, s’il est pressé d’entrer dans la vie active. Un métier. Une famille. Mais ce n’est pas ce qui l’attend. Car à La Madeleine on vit comme dans une enclave extra-territoriale. Et s’il y a apartheid, il est volontaire et assumé.
Mais qu’est-ce que ses parents, ses voisins, les adolescents qui lui servent de modèles, ont appris à ce gamin ? La haine ! Déteste-il déjà les filles qui s’occupent de lui à la maternelle ? Quand il sera à l’école, va-t-il cracher à la gueule de ses profs ? Ira-t-il plus tard faire quelques séjours à Fleury-Merogis ? Cet enfant est une victime. On lui a enfoncé dans le crâne un bréviaire haineux. C’est lui qu’on assassine. Et les coupables sont connus.
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