Alors qu’à Belfast, le G8 va se pencher pour la deux-cent-seizième fois sur le douloureux problème des paradis fiscaux et envisager des mesures d’urgence en vue de leur nécessaire moralisation, coin-coin-coin, Eric Schmidt publie une amusante tribune libre chez nos confères du Financial Times.
Ce menu du G8 est chaud bouillant pour l’executive chairman de Google, dont la boutique est, en compagnie d’Apple, Amazon et Facebook, régulièrement vilipendée par les bonnes âmes européennes et américaines pour absence de civisme fiscal. Ainsi, selon un diplomate français anonyme cité par 20 Minutes, ce G8 de Lough Erne a mis les géants du net au cœur de sa cible : « Il s’agit de trouver un cadre commun pour que ces sociétés payent une part raisonnable d’impôt. Elles en payent actuellement très peu alors qu’elles s’appuient sur les services. »
Loin de moi l’idée de considérer ce problème comme fictif. Selon l’OCDE – dont les économistes font référence depuis Cornelius Castoriadis– mille milliards et des brouettes de dollars de profits générés en Europe par les entreprises américaines échappent à l’impôt grâce à de forts créatifs dispositifs d’optimisation fiscale. Mais faire porter le chapeau de ce naufrage budgétaire à la seule « Bande des quatre » du net me semble à peu près aussi honnête que d’accuser Zlatan d’être le principal responsable des émeutes du Trocadéro.
En vertu de quoi on ne peut que féliciter Eric Schmidt de rappeler aux pontes du G8 qu’ils se moquent du monde. Et comment l’a-t-il fait ? En se servant de Google, of course ! Quelques heures de surf lui ont suffi pour mettre le nez dans leurs cacas aux « gouvernants, de gauche comme de droite qui draguent éhontément les investisseurs étrangers en vue de créer emplois et croissance». Ainsi, il a pu remarquer que le site du gouvernement britannique se targue d’« offrir le régime fiscal le plus avantageux du G20 », celui du gouvernement français claironne ses 7 milliards de Crédit d’Impôt Recherche rétrocédés aux entreprises pour la seule année 2009, tandis que l’Agence d’investissement des Pays-Bas vante les vertus de son climat – fiscal, ça va de soi. L’enfer, c’est les autres disait Machin, le paradis fiscal itou.
Bref, explique Schmidt en substance, arrêtez de vous dumper les uns les autres, mettez en place de vraies règles fiscales communes, et juré-craché on s’y soumettra. J’imagine que cette fiscalité commune, Eric la souhaite riquiqui, pour ne pas dire alignée sur le moins disant, mais bon, c’est pas le débat : il est bien évident que le fondateur de Google a raison et que comme souvent depuis le déclenchement de la Révolution industrielle, l’avant-garde du Capital a un coup d’avance sur les Etats. Mieux vaut une mauvaise paix fiscale mondiale qu’une guérilla permanente. Mais je vous parie qu’à Belfast on continuera de parler moralisation au lieu de fabriquer de la réglementation.
Accessoirement – et on se calme, les filles, je ne vous demande pas de penser comme moi – je considère que l’optimisation fiscale, tout comme le dumping social, le plagiat industriel ou l’abus de bien social sont au cœur même du processus capitaliste, il serait donc farfelu de rêver y mettre fin, sauf à en revenir à des solutions de type bolchévique, lesquelles, j’en conviens volontiers, présentent d’autres inconvénients. La moralisation du capitalisme est donc une fumisterie, presque autant que l’autorégulation, c’est dire.
Cela dit, seuls les aveugles et les militants du PG peuvent nier que, chez lui, l’Occident a su en finir – sans passer par la case Révolution, mais néanmoins sous la pression de l’Opinion – avec le travail des enfants, la semaine de 80 heures ou le tir à vue automatique sur les grévistes, toutes pratiques fort en vogue aux temps de l’Accumulation primitive. Aujourd’hui, nos Etats peuvent, par la régulation, donc pour parler clair à coup de réglementations, et donc pour parler encore plus clair, de répression, mettre fin aux abus les plus criants et ramener, comme disaient les Inconnus, les soussous dans la popoche. Encore faudrait-il qu’ils le veuillent vraiment, et qu’ils commencent, comme les y engage Eric Schmidt, par balayer devant leur propre porte ou même, soyons modernes, à passer le Dyson…
*Photo: Oxfam international
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