Avec Eva Joly, on ne rigole pas, on le sait depuis les grotesques accusations de racisme lancées à l’encontre de Patrick Besson, coupable d’avoir déconné sur son accent. Un examen sommaire de ses propos pourrait, de surcroît, faire penser qu’elle n’aime pas la France – du reste, c’est le droit de chacun, y compris de tout citoyen français. On pourrait s’étonner qu’elle prétende diriger un pays dont aucune tradition ne trouve grâce à ses yeux mais après tout, elle a également le droit de vouloir nous rééduquer.
Bizarrement, la candidate des Verts n’a pas encore décrété que les bals du 14 juillet étaient une survivance machiste, mais pour le défilé, tintin : si elle est élue, plus d’uniformes, plus de blindés, plus d’avions laissant un sillage tricolore dans le ciel de Paris et, bien sûr, plus de Marseillaise pour rappeler que c’est aux cris de « Vive la nation » que les soldats de Valmy sauvèrent la République naissante. À la place, vous aurez un défilé citoyen et même citoyen du monde – le genre Jean-Paul Goude. Pareil pour le 11 novembre, appelé, sous la présidence Joly, à devenir une « journée européenne pour la paix » : il serait, semble-t-il, indélicat de rappeler que l’armistice de 1918 scella une victoire payée de millions de vies. « Il faut arrêter de penser, avait-elle dit, que c’est l’Allemagne qui a perdu la guerre, que c’est la France qui l’a gagnée. » Et la réalité, on l’arrête comment, Madame le Juge, euh pardon, Madame la Présidente ? Passons.
Quant à sa dernière sortie, sur la « xénophobie made in France », elle laisse perplexe. Samedi, en présentant le projet de son parti, elle ne s’est pas contentée de promettre plein de jolis emplois verts. Elle a aussi expliqué qu’« Hortefeux, Besson et Guéant n’avaient eu de cesse de caresser le Front national dans le sens du poil, avec une expression bien de chez nous ‘expulsons français’ ! » Bien sûr, personne n’a jamais employé une expression aussi sotte : l’Etat ayant le monopole de la contrainte légale, on ne voit pas très bien qui serait habilité à prononcer et à exécuter des expulsions, sinon la justice et l’administration françaises. Peu importe : qui, pour les besoins de sa cause, n’a jamais tordu le cou à la réalité ou prêté à ses adversaires des propos qu’ils n’avaient pas tenus ? Ce qui est plus curieux, c’est que notre incorruptible, habituellement intraitable sur le respect de la loi, semble penser que l’infraction à la législation sur les étrangers doit être encouragée plutôt que sanctionnée. Cela revient à prôner la disparition des frontières, donc de la France.
On peut donc avoir l’impression que pour Eva Joly, ce qui est xénophobe, c’est de se dire français. Eh bien non ! Il serait injuste d’accuser l’ex-Miss Norvège d’être « anti-France ». Ce n’est pas la France qui donne de l’urticaire à Eva Joly. Car elle n’aime pas non plus l’Angleterre de Churchill, l’Italie de la Renaissance ou l’Amérique des pionniers, toutes ces nations qui ont le grand tort d’avoir un passé singulier, parfois héroïque, parfois criminel – et souvent les deux.
Ce qu’Eva Joly n’aime pas c’est l’Histoire, l’histoire avec un grand H. Parce que l’Histoire, c’est plein de bruit et de fureur, de puissance et de gloire, de crimes et de guerres. Madame Joly rêve d’un monde scandinavisé dans lequel toutes les nations seront non seulement égales mais pareilles – ce qui est curieux pour la candidate d’un parti qui célèbre en permanence la diversité. Pour elle, la singularité est une faute, l’amour de son pays une sottise et le patriotisme un crime. Dans le concert des nations, il ne doit pas y avoir une tête qui dépasse. Ce monde pacifié et égalitaire peut faire envie mais ne nous y trompons pas : quand les rapports de forces entre nations auront disparu, il ne restera que la guerre de tous contre tous.
Alors Madame Joly gagnera peut-être un groupe parlementaire grâce à ses 3 % d’intentions de vote dans les sondages – ce qui est discutable d’un bête point de vue démocratique. Mais elle ne sera jamais présidente de la République française. Parce qu’on a beau sermonner les Français, les sommer de renier leur passé criminel, les inviter à se purifier dans le grand bain de la mondialisation, ils n’en démordent pas. Ils veulent rester un peuple, un peuple accueillant, un peuple dont tout être humain, pour peu qu’il veuille bien se conformer au règlement intérieur, peut faire partie, mais un peuple quand même. Et n’en déplaise à Madame Choly, il n’y a pas de peuple sans Histoire – et pas non plus de peuple qui ne fasse pas d’histoires.
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