Euthanasie : vox populi n’est pas toujours vox dei


Euthanasie : vox populi n’est pas toujours vox dei

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Il paraît que près de neuf Français sur dix sont favorables à une loi sur l’euthanasie. Au-delà du fait évident que cette approbation ne signifie pas grand chose positivement puisque l’institut de sondage serait bien incapable, et on ne le lui reproche pas, de préciser ce que les sondés entendent par là, je m’honore de faire partie de ce petit reste qui s’y oppose. Mais c’est la démocratie qui parle, rétorquera-t-on, et le peuple a toujours raison.

Je conteste fermement cette affirmation, et je m’en explique. Aujourd’hui, tout le monde est contre la peine de mort : ce n’était pas le cas au XXème  siècle. Aujourd’hui, tout le monde est contre le colonialisme : ce n’était pas le cas au XIXème siècle. Aujourd’hui, tout le monde est contre l’esclavage : ce n’était pas le cas au XVIIIème siècle. Aujourd’hui, tout le monde est contre l’intolérance religieuse : ce n’était pas le cas au XVIIème siècle. Aujourd’hui, tout le monde est contre le bûcher pour les sorcières : ce n’était pas le cas au XVIème siècle. Aujourd’hui, tout le monde est pour l’autopsie des corps humains, ce n’était pas le cas au XVème siècle. Aujourd’hui, tout le monde est contre les ghettos, ce n’était pas le cas au XIVème siècle. Etc.

Cette liste d’exemples, déjà fastidieuse, pardon, pourrait être étendue à l’infini. Prouve-t-elle que nous sommes devenus meilleurs que nos parents ? Oui, certainement, sur ces points-ci. Il est loin le temps où le pater familias décidait du sort de ses nouveau-nés ; loin le temps où l’on pensait qu’il valait mieux qu’un seul homme meure plutôt que tout le peuple. L’humanité a gagné en sagesse, lentement mais sûrement, et c’est une occasion de se réjouir. Mais si l’on y regarde de plus près, rares sont les évolutions de mœurs qui ont procédé d’un assentiment populaire. Le peuple est mauvais ? Parfois. Presque aussi souvent qu’il est bon. Plus, c’est, par une ruse de la raison, souvent quand il est bon qu’il est mauvais.

La mécanique du bouc-émissaire qu’a analysée René Girard nous semble, vue de loin, cruelle et injustifiée : pourtant, telle qu’il la décrit, elle manifeste une réelle utilité pour la poursuite de la concorde sociale. Gageons que les peuples, si l’on leur eût demandé leur avis théoriquement, eussent plaidé pour son maintien. Il a fallu de longs siècles pour que la conscience humaine, à notre avis éclairée d’ailleurs, s’extirpe peu à peu de cette mécanique. Et encore ne l’a-t-elle réussi qu’imparfaitement, puisqu’elle maquille maintenant, toujours selon Girard, la victime expiatoire en coupable : le nouveau bouc-émissaire est, dit-il, celui que l’on accuse lui-même d’avoir sacrifié un bouc-émissaire. Bref, notre vieux fond sacrificiel tourne en rond.

Et c’est sans doute ce qui se manifeste dans le désir moderne de lois compassionnelles : de même que pour l’avortement, on a commencé par plaider la souffrance, réelle, de la femme enceinte malgré elle, avant que d’établir cette tolérance en droit ; de même pour l’euthanasie, on glisse insidieusement de la prise en compte de la douleur des proches, en l’occurrence la femme de Vincent Lambert, au droit conféré à l’Etat de décider de la vie et de la mort du patient. L’homme veut du sang et indéfiniment à sa conscience s’oppose cet instinct.

L’homme veut du sang ne signifie pas que la femme de Vincent Lambert ou celle qui avorte, les pauvres, soient des monstres. Bien au contraire : c’est à travers elles que la société, le peuple, comme meute indistincte, celle qui auparavant faisait de celui qu’elle avait sacrifié un dieu, déverse son désir venu du fond des âges. La foule, ou l’Etat aujourd’hui, sont des constructions bien pratiques pour masquer la responsabilité individuelle. Mère-grand a Alzheimer ? Je ne l’étoufferai pas sous un coussin, mais le docteur Bonnemaison saura comment y faire. Abréger la souffrance,  quelle merveilleuse idée et fou qui s’y opposerait.

Mais l’euthanasie n’est qu’un passage, si l’on peut dire, et nous nous y sommes déjà trop attardés. Pendant que des centaines de milliers de femmes avortent chaque année en France, des milliers de couples tentent de fabriquer des enfants. D’un côté la mère honteuse, de l’autre la mère porteuse. L’enfant est une marchandise, c’est maintenant clairement établi.

Le vieux, le malade, le diminué est appelé lui aussi à devenir une marchandise. Les têtes d’œuf de Google et consorts se font fort de remplacer très bientôt vos pièces défectueuses. Pendant que Ginette clamse sous sédatifs au CHU de Maubeuge pour libérer un lit, des grigous botoxés sous viagra préparent déjà leur cent-cinquantième anniversaire en 2087. Y aura des putes chinoises et du champagne. Que la fête continue.

Nous sommes déjà les maîtres de la vie et rien de pire ne pouvait nous arriver.

*Photo : BORDAS/SIPA. 00612815_000002. 



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est journaliste et essayiste.

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