Accueil Société Euthanasie: plutôt Michel Houellebecq ou Line Renaud?

Euthanasie: plutôt Michel Houellebecq ou Line Renaud?


Euthanasie: plutôt Michel Houellebecq ou Line Renaud?
A gauche, Michel Houellebecq, à droite, Line Renaud. ©ISA HARSIN/SIPA et JP PARIENTE/SIPA

Le délicat débat sur la fin de vie se résume-t-il à ce désir: en finir le plus vite possible?


On peut avoir le plus grand respect pour les enquêtes d’opinion et les sondages, mais savoir les relativiser quand ils sont effectués bien longtemps avant l’échéance qu’ils concernent. Et douter de la fiabilité de la majorité qu’ils dégagent, sur la fin de vie, avant l’issue douloureuse qui confrontera chacun à un choix terriblement concret, et non plus à une interrogation abstraite autorisant une apparente sérénité. C’est dire que, si je ne les juge pas inutiles, je les estime au moins dangereux. Ils constituent à force une sorte d’opinion dominante laissant entendre que l’obsession d’aujourd’hui est l’euthanasie et le suicide assisté, ce qui à l’évidence n’est pas le cas.

Le président de la République avait promis à Line Renaud d’avancer sur l’aide active à mourir. Mais apparemment, sa propre conviction n’est pas encore forgée sur ce sujet infiniment sensible même si l’acte 1 de la Convention citoyenne pourrait être suivi par un acte 2. Emmanuel Macron s’est d’ailleurs engagé à ce qu’un « projet de loi soit bâti d’ici à la fin de l’été 2023, de manière à permettre de tracer les contours d’un modèle français de la fin de vie ». En même temps, le président a annoncé « qu’il allait lancer un plan décennal national pour la prise en charge de la douleur et des soins palliatifs ».

Thierry Beaudet, le président du Conseil Économique Social et Environnemental, s’exprime devant la convention citoyenne sur la fin de vie, Paris, 9 décembre 2022 © Aurélien Morissard/POOL/SIPA

Qu’on m’entende bien: discuter la validité de ces processus et de ces réflexions collectives sur l’intimité ultime de nos existences n’est en aucun cas nier la réalité des souffrances parfois intolérables éprouvées au sein de familles éplorées et brisées par l’attente de l’inéluctable. Je mesure aussi combien ces citoyens considèrent que leur fonction démocratique est importante et à respecter à l’issue de leurs travaux. À 76%, les membres de la Convention sont favorables à l’accès au suicide assisté et à l’euthanasie « selon certaines conditions et au terme d’un parcours balisé ».

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Il me semble qu’ouvrir, sur la fin de vie, « le chantier d’un modèle français » représente un « en même temps » contradictoire dès lors qu’on va s’efforcer également d’amplifier les traitements palliatifs. Ce n’est plus tenir les deux bouts d’une chaîne, c’est feindre de supposer accordés et complémentaires deux bouts qui sont en rupture l’un par rapport à l’autre. Et provoquer inutilement avec l’un nuira à la validité de l’autre. Les soins palliatifs, l’apaisement des souffrances, éventuellement des ajouts à la loi Claeys-Leonetti de 2016, au demeurant insuffisamment appliquée, relèvent d’un registre qui permet aux médecins non seulement de ne pas trahir leur mission mais au contraire de l’exercer encore plus dignement et efficacement. L’aide active à mourir en est la négation. Elle ferait rentrer la tâche de ces professionnels de la vie accompagnée le plus doucement possible jusqu’à la mort naturelle, dans un autre univers qui les conduirait à faire advenir cette dernière sur un mode forcé.

La pratique belge a beau défendre l’idée que l’éthique médicale n’est pas violée par cette aide active à mourir soumise à des garanties, la médecine française est réticente à changer sa volonté de préserver le plus longtemps possible le souffle de vie en une politique du pire avant l’heure. Est-il permis de voir dans cet étrange débat, qu’on revêt artificiellement d’un caractère d’urgence, une diversion par rapport à des problématiques économiques, sociales, sanitaires infiniment plus impérieuses et préoccupantes? Pourquoi cette obsession d’introduire, contre la normalité du processus actuel représentant une parfaite synthèse entre l’homme en voie de mourir et le médecin consacré à son bien-être final, un espace où on présume que chacun d’entre nous n’aura que ce désir: en finir le plus vite possible?

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La fin de vie, le suicide assisté sont des sujets à traiter avec infiniment de délicatesse. Je ne suis pas persuadé que la grosse patte législative qui s’immiscera dans les pensées, les sentiments, les douleurs des familles pour théoriquement leur simplifier la tâche ne les dépossédera pas de l’honneur et de la tragédie d’être seules face à un être humain qui heureusement, la plupart du temps, ne leur offrira pas le terrifiant confort d’une demande de départ anticipé. Contre Line Renaud, qu’on me pardonne de préférer les pages fulgurantes de Michel Houellebecq dans une tribune écrite pour Harper’s. Il avait déjà dans son dialogue avec Michel Onfray (dans Front Populaire) dit avec finesse et émotion tout le mal qu’il pensait d’une éventuelle légalisation de l’euthanasie dans notre pays.

Dans la traduction de Harper’s, il écrit: « Peu à peu, sans que personne n’y trouve à redire, sans que personne ne semble même le remarquer, la loi civile s’écarte de la loi morale qu’elle devrait avoir pour unique fonction de servir ». Il ajoute que la douleur causée par des souffrances physiques inhumaines sera de plus en plus apaisée par les progrès de la médecine et les soins palliatifs. Enfin, il craint le basculement dans une société à la « Soleil Vert » « où le recours à l’euthanasie serait le moyen de lutter contre les difficultés financières liées au vieillissement de la population. » Je voudrais terminer cette analyse par la douceur tendre et mélancolique de ce propos qui émane encore de Michel Houellebecq, quand il imagine qu’on réponde à une personne désirant mourir: « Mais nous on t’aime, on tient à toi, on veut que tu restes »

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Magistrat honoraire, président de l'Institut de la parole, chroniqueur à CNews et à Sud Radio.

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