(Avec AFP) – « Vincent a recommencé à déglutir », dixit l’avocat de ses parents. Et pourtant, il va mourir. Ainsi en a décidé la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH).
Dans une décision définitive de sa Grande chambre, la Cour a dit, « par 12 voix contre 5, qu’il n’y aurait pas violation de l’article 2 (de la convention européenne des droits de l’Homme, régissant le droit à la vie) en cas de mise en œuvre de la décision du conseil d’Etat autorisant l’arrêt » de l’alimentation et de l’hydratation du jeune homme tétraplégique, a rapporté son président Dean Spielmann.
La Cour a également estimé que les dispositions de la loi Léonetti sur la fin de vie « constituent un cadre législatif suffisamment clair pour encadrer de façon précise la décision du médecin » dans un cas comme celui de Vincent Lambert.
L’arrêt des juges strasbourgeois a été rendu peu après 11h00, lors d’une brève audience à laquelle assistaient la mère du trentenaire, Viviane Lambert, qui s’élèvait contre une « euthanasie déguisée », tandis que son épouse Rachel appelait pour sa part à le « laisser partir ».
Victime d’un accident de la route en 2008, qui a provoqué des lésions cérébrales irréversibles, Vincent Lambert, 38 ans, est hospitalisé dans une unité de soins palliatifs au CHU de Reims, où il est nourri et hydraté artificiellement.
Ce sont ses parents, avec une de ses sœurs et un demi-frère, qui ont saisi la justice européenne. Ils contestent une décision du Conseil d’Etat en faveur de l’arrêt des soins, estimant qu’elle viole son droit à la vie et qu’il s’agit d’une torture.
La décision médicale, prise dans le cadre de la procédure collégiale prévue par la loi Léonetti de 2005, correspond en revanche au souhait de Rachel Lambert, soutenue par cinq frères et sœurs de son époux, convaincus qu’il n’aurait pas souhaité continuer à vivre dans cet état.
« La Cour est arrivée à la conclusion que la présente affaire avait fait l’objet d’un examen approfondi où tous les points de vue avaient pu s’exprimer et où tous les aspects avaient été mûrement pesés, tant au vu d’une expertise médicale détaillée que d’observations générales des plus hautes instances ».
Réaction de celle qui a donné la vie à Vincent Lambert : « C’est un scandale, on condamne notre fils, je suis très triste ». Mais même si l’arrêt européen est définitif, il pourrait ne pas marquer l’épilogue de l’imbroglio judiciaire.
La décision d’arrêt de l’alimentation « a été prise par un médecin et ne peut être mise en œuvre que par ce médecin », qui n’est plus en fonction, rappelle l’avocat des parents. Ceux-ci avaient donc annoncé qu’en cas d’échec de leur requête, ils solliciteraient donc une nouvelle décision médicale, qu’ils pourraient à nouveau contester en justice si elle leur était défavorable. Or il y a selon Me Jean Paillot « des éléments nouveaux » changeant la donne, comme le fait que Vincent ait recommencé à déglutir.
L’avocat de Rachel Lambert, quant à lui, voit « mal comment un juge administratif irait contre une décision de la Cour européenne et du Conseil d’Etat ».
L’état de Vincent Lambert fait l’objet de désaccords majeurs. « Il n’est pas en fin de vie, il est handicapé », martèle Viviane Lambert, qui déplore que son fils ne bénéficie pas de kinésithérapie, parlant de « maltraitance ».
Il « n’est pas en état végétatif, mais en situation d’état pauci-relationnel », un degré de conscience permettant des interactions avec son environnement, confirme le Dr Bernard Jeanblanc, responsable d’un service accueillant des patients à la conscience altérée près de Strasbourg, et proche des parents Lambert.
L’expertise médicale réalisée à la demande du Conseil d’Etat avait au contraire estimé qu’il était dans un état végétatif irréversible. Le Conseil d’Etat avait donc considéré que son maintien artificiel en vie relèverait d’une « obstination déraisonnable », compte tenu des souhaits qu’il aurait exprimés avant son accident, rapportés par sa femme.
Au-delà de la France, l’arrêt était attendu dans 46 autres Etats membres du Conseil de l’Europe, dont la CEDH est le bras judiciaire. Selon Nicolas Hervieu, juriste en droit public et spécialiste de la CEDH, il « a vocation à devenir un véritable point de référence juridique sur la fin de vie en Europe ».
Ceux qui n’en auraient pas encore pleinement pris conscience le réaliseront au passage : c’est désormais à cet échelon politique supranational que se tranchent les questions de vie ou de mort.
*Photo : © AFP/Archives Herve Oudin
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