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Euthanasie : laisser venir la mort n’est pas la provoquer


Euthanasie : laisser venir la mort n’est pas la provoquer

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À la peine sur le terrain socio-économique, le gouvernement s’est engagé pour faire diversion dans des réformes dites « sociétales ». Mais son coup d’essai, le mariage pour tous, n’est pas un coup de maître. Censé rassembler les Français, ce sujet aux multiples facettes est en train de leur faire revivre les divisions des grands jours. L’autre promesse de campagne de François Hollande, la légalisation de l’euthanasie, semble plus consensuelle : d’après les sondages d’opinion, 90% des personnes interrogées y seraient favorables. Le gouvernement tient-il ici la loi « moderne et apaisée », qui lui fera pardonner ses errements ?

Il faut cependant savoir regarder plus loin que le bout de son nez. Examinons de près ces fameux sondages. La formulation des questions tout d’abord. À la question « Si vous étiez atteint d’une maladie incurable et en proie à d’extrêmes souffrances, souhaiteriez-vous qu’on vous aide à mourir ? », qui répondrait non ? Il est bien évident qu’une formulation aussi simpliste et tendancieuse appelle une réponse univoque. Considérons ensuite le panel des personnes interrogées. Ce ne sont pas des malades qui ont été consultés, ni leurs familles, mais des actifs, jeunes et bien portants. Reformulons la question, et posons-la aux principaux intéressés, des personnes âgées et malades : « Si vous étiez atteint d’une maladie incurable et que, pris en charge par une équipe compétente, vous étiez soulagé de vos souffrances, souhaiteriez-vous qu’on vous fasse mourir ? »… Nul doute que la réponse serait différente.

Complètement en décalage par rapport à la doxa qui pose que l’acharnement thérapeutique est le fait des médecins, l’Observatoire National de la fin de vie note que, en cas de maladie incurable et très avancée, quand se pose la question de la réanimation, ce sont plus souvent les médecins qui proposent la limitation ou l’arrêt des traitements actifs (LATA), et la famille ou le patient lui-même qui insistent pour les poursuivre. Cette forte demande thérapeutique est bien légitime. La médecine ayant permis de guérir un grand nombre de maladies graves, elle a éveillé dans le public un immense espoir de salut. Espoir qu’il est difficile pour les soignants d’anéantir brutalement, après qu’ils l’ont eux-mêmes suscité et entretenu, en se battant pied à pied contre la maladie et la mort. Tout le monde, patients comme soignants, partage ainsi la foi en une médecine qui combat la mort jusqu’au bout, même quand cette foi se transforme peu à peu en « obstination déraisonnable ». Ainsi les demandes d’euthanasie de la part des patients en fin de vie sont très rares. Dans les pays où l’euthanasie active est légale, moins de 3% des grands malades expriment une telle demande. Cette demande  est  souvent labile, formulée dans un moment de désespoir et de souffrance ; lorsque la douleur physique et psychologique est soulagée (ce que la médecine moderne, avec ses antalgiques et ses anxiolytiques puissants, permet dans l’immense majorité des cas), elle s’éteint en général d’elle-même. En 2011, à l’Institut Curie, centre de lutte contre le cancer, seul un patient a réclamé une euthanasie !

Si au moins on avait lu correctement la loi Leonetti ! Cette loi unique – rédigée après un remarquable travail préparatoire, c’est la seule loi de toute la Ve République qui a été votée à l’unanimité par l’Assemblée Nationale – autorise non pas l’euthanasie active mais ce qu’on appelle l’euthanasie « passive ». Il y a une grande différence entre laisser venir la mort et la provoquer. Dans le premier cas on accompagne le malade vers sa fin inéluctable en prenant en charge les symptômes pénibles (en particulier la douleur). Dans l’autre on procède à un acte délibéré, inouï par sa violence symbolique et même réelle. Décidée de sang froid, dans le but explicite de tuer, et administrée à un patient en situation de complète dépendance, l’injection létale est une absolue rupture morale qui bouleverse de fond en comble la relation thérapeutique. Les médecins ne sont pas des professionnels de la mise à mort. Ils ne sont pas des bourreaux – profession d’ailleurs frappée d’infamie dans le monde moderne : qui voudrait exercer cette charge dans une société qui supporte si peu l’idée de la mort qu’elle a aboli le châtiment suprême ? Nous ne sommes pas devenus médecin pour tuer mais pour, sinon guérir, au moins soulager la détresse de ceux qui se sont adressés à nous en un magnifique élan de confiance. Et quelle confiance les patients pourront-ils conserver envers leur médecin mis en position de dispenser la mort ? Comment ne pas l’imaginer en embuscade, guettant le moindre signe « d’indignité » (fléchissement de la raison, handicap sévère, grand âge…), pour proposer, au nom de principes suaves, une injection mortelle ? Comment ne pas redouter de s’entendre susurrer, au moins de façon subliminale, ces mots terribles : « Allez vieillard, sois digne ! Tu es au bout du rouleau, arrête de t’agripper à la vie… C’est pas humain, ce que tu fais… Et ça doit te faire beaucoup souffrir… En tout cas c’est pas joli à regarder… D’ailleurs tu dégoûtes les enfants… Si tu n’y arrives pas tout seul, on peut t’aider à en finir proprement… Détends-toi, ça va bien se passer ! » ?

Mais bien sûr, donner à la loi sur la fin de vie les moyens de sa réelle application suppose des dépenses substantielles. Formations des soignants aux techniques de soulagement de la douleur, ouverture de lits de soins palliatifs, revalorisation de la médecine non curative, développement de l’hospitalisation à domicile, soutien aux aidants… Tout cela a un coût. Coût certainement supérieur à celui de l’organisation d’une euthanasie médicalisée aux procédures encadrées par la société. À l’heure où le difficile problème des retraites va se reposer, à l’heure où le financement de la dépendance va devoir être à nouveau discuté, la légalisation de l’euthanasie pourrait devenir une « chance historique » de concilier droits de l’homme et efficacité économique. Dans un pays où l’espérance de vie croît chaque année, ce « progrès » en matière de droits de l’homme ouvre bien des perspectives, pas toutes dans le domaine que l’on dit… Que les naïfs au grand cœur se récrient ! Et surtout, qu’ils ferment bien fort les yeux pour ne pas voir les cyniques qui se drapent dans de belles déclarations. Quant à nous, médecins qui sommes en première ligne du combat contre la souffrance et la mort, nous le disons solennellement au gouvernement : nous ne nous laisserons pas abuser par un jeu de dupes où les perdants sont tout désignés.

Nathalie Cassoux est ophtalmologiste, médecin des centres de lutte contre le cancer, docteur ès sciences.

Anne-Laure Boch est neurochirurgien, médecin des hôpitaux de Paris, docteur en philosophie.

*Photo : neyssensas.



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