Que faire de nos vieux ? C’est assurément une des questions qui taraudent le plus le président de la République et le gouvernement français. D’un côté, nos dirigeants ont ruiné le pays pour sauver nos aînés au moment de l’épidémie de COVID, n’hésitant pas à les maltraiter pour leur propre bien, et d’un autre côté, ils nous jouent régulièrement ce petit air si touchant de l’euthanasie et du suicide assisté au nom de la dignité humaine.
On comprend leur embarras : les vieux, ça coûte très cher au pays, mais ça vote en masse et bien ! L’idéal serait donc d’obtenir leur consentement à un départ anticipé en drapant ce dernier dans la toge de l’éthique collective et de la morale individuelle. On vous chouchoute tant que vous êtes en forme et raisonnables politiquement, et en échange vous n’insistez pas trop quand une maladie grave vous atteint. Enfin, une maladie grave ou une dépression, ou quand ça ne va pas trop, quoi…
Schizophrénie
C’est généralement cette schizophrénie hésitant entre l’idolâtrie de la vie (Olivier Rey) et la gestion bureaucratique et administrative de la mort qui tient lieu de débat lorsqu’on aborde la question du grand âge et de la maladie, les deux ne se confondant d’ailleurs pas. Une vision pour l’essentiel technique des choses, où la question du sens n’est guère soulevée.
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Avant de poser la question de la bonne mort (euthanasie), il serait pourtant bon de poser celle de la vie bonne et du bonheur (eudémonisme). Mais est-ce seulement possible dans une société dont le programme politique est l’hédonisme, c’est-à-dire le plaisir et l’absence de souffrance ? Un hédonisme consumériste qui reste en grande partie le projet de société de nos dirigeants, malgré leur conversion soudaine à la sobriété pour de douteuses raisons écologiques et géopolitiques. Et quand il ne s’agit pas d’hédonisme, c’est son exact contraire qui prévaut, notamment au sein des jeunes générations pour qui posséder une voiture, prendre l’avion, chercher de bons rendements agricoles ou faire des enfants sont autant de péchés capitaux. Entre consommation destructrice et mortification vertueuse, demeure-t-il une voie où puissent s’articuler réalisation personnelle et sens de la communauté ? Une voie qui ne ressemble pas à un suicide collectif pour sauver une humanité qui n’en demande pas tant ?
Cancel culture
Dans ce contexte, les vieux posent problème. Pas seulement parce qu’ils sont improductifs, mais aussi parce qu’ils gardent la mémoire et les réflexes d’autres époques où l’on pensait et se comportait différemment. L’effacement docile auquel on les invite (et auquel beaucoup semblent être prêts à céder) n’est ni plus ni moins qu’une annulation en bonne et due forme, un procès et une condamnation qui ne disent pas leur nom, et surtout le préalable à une table rase dont personne ne parle ouvertement et qui pourtant avance ses pions tous les jours par le biais de l’intelligence artificielle et du transhumanisme. Les vieux et leurs idées rances, leur argent liquide, leur maladresse vis-à-vis des outils numériques et leur goût pour le contact humain, font obstacle à la marche du nouveau monde. Il serait bon qu’ils disparaissent, qu’ils laissent la place, de leur plein gré, de leur propre mouvement.
Les pensions de retraites seront revalorisées de 5,2 % le 1er janvier 2024
Ce qui surprend un peu dans cette situation, c’est la facilité avec laquelle les personnes âgées et malades ont intégré cette vision portée sur elles. À l’heure des Prides en tout sens, il est certain qu’on ne verra pas nos aînés défiler dans les rues à l’occasion d’une Old Pride. On se demande même pourquoi le gouvernement vient d’annoncer la revalorisation de leur pension de retraite, de toute façon ils ne voteront jamais massivement pour Marine Le Pen ni pour Jean-Luc Mélenchon. Les vieux sont dociles, obéissants, civiques. Quand sera accompli le travail de propagande consistant à établir de manière définitive que tous les malheurs du monde sont dus au comportement égoïste, raciste et écocidaire des générations actuellement à la retraite, nul doute que par sens du devoir, ces dernières tireront leur révérence d’elles-mêmes. Peut-être lors de cérémonies de suicides citoyens, qui sait…
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À moins que…
À moins que des individus arrivés au bout du chemin que la société (ou leur santé) leur prescrit décident de se révolter et, n’ayant plus rien à perdre, se lancent dans des actions spectaculaires pour secouer le cocotier de la moraline contemporaine. On imagine assez bien un Jean-Paul Brighelli troquer sa plume et son clavier contre un cocktail Molotov ou une carabine à l’annonce d’un cancer incurable, faisant ainsi évoluer son combat contre l’effondrement ambiant par d’autres moyens. C’est d’ailleurs ce qu’a dû imaginer le gouvernement en lançant sa grande campagne de collecte d’armes clandestines à la fin de l’année dernière. On ne sait jamais, des fois que les caves vieux se rebiffent…
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