Européennes : face au FN, le bal des autruches


Européennes : face au FN, le bal des autruches

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Match nul UMP-PS. Avec un Front national planant à 26% des voix sur l’ensemble de la France, à cinq points devant l’UMP, à onze du Parti socialiste, le paysage politique hexagonal ne sort pas indemne de ses élections européennes. Notons au passage que le bon vieux mythe de l’abstention favorable au parti lepéniste prend du plomb dans l’aile puisque le léger regain de participation a ostensiblement profité aux listes frontistes. Jean-Christophe Cambadélis en sera pour ses frais, lui qui avait pronostiqué, telle une Pythie au doigt mouillé : « le FN n’est fort que de l’abstention et, selon qu’elle sera forte ou basse lors des prochaines élections, il sera en bonne ou moins bonne position ». Loupé !

S’est au contraire vérifié le théorème de Guilluy : les classes laborieuses, dites aussi classes dangereuses, votent massivement FN, lorsqu’elles ne s’abstiennent pas. La pointes de Marine Le Pen à 32% dans le Nord-Ouest, reléguant le Copé boy Jérôme Lavrilleux quinze points derrière son panache blond[1. Décidément, certains ont autant de mal à mener campagne qu’à assurer une bonne comptabilité.] et son adversaire socialiste à vingt points de distance, dessinent la caricature de la nouvelle géographie sociale française. De la même manière, la bonne tenue du fédéraliste UMP Lamassoure, vainqueur en Île-de-France, l’un des rares avocats du Traité transatlantique sur la place de Paris, confirme l’avenir de la droite bobo dans les ville-mondes. Qu’Hidalgo se le tienne pour dit…

Tout le sel de la soirée d’hier tenait dans le florilège de réactions dont nous ont gratifié commentateurs et politiques. Quelques jours avant l’élection, Cambadélis (encore lui, Harlem Désir lui ayant cédé son siège d’amuseur en chef) avait déjà annoncé la couleur : « Si le Front national arrivait en tête dimanche, cela signifierait que la France des droits de l’homme a cédé la place au pays qui veut exclure les autres. » Comme dans un tableau de Jérôme Bosch, il semblerait qu’une grande partie de l’électorat brûle aujourd’hui dans les flammes de l’enfer. L’annonce de cet épisode apocalyptique a ouvert une corrida autour du taureau frontiste que de tristes picadors asticotent de leurs banderilles. « Heures sombres », insiste Cambadélis, après une overdose de Nuit et brouillard. Mais la palme du grotesque revient à Carlos da Silva, député PS d’Evry en lieu et place de Manuel Valls. Le porte-parole du PS a poussé l’inconscience politique jusqu’à morigéner Nicolas Bay en direct sur Itélé, en lui prodiguant une petite leçon de morale digne des heures les plus noires de l’antifascisme. Verdict : « le FN est un parti antirépublicain » et ses électeurs des salauds à rééduquer. Et l’édile socialiste de plastronner : « vous ne servirez à rien », rappelant le profil peu ragoûtant des alliés étrangers du  FN. Comme si l’électeur frontiste lambda espérait renverser l’Europe par l’alliance entre Marine Le Pen, le FPÖ autrichien et les libéraux-libertaires peroxydés de Geert Wilders. Même le Premier ministre a fait montre d’un meilleur sens politique dans son allocution aussi creuse et grandiloquente qu’un discours présidentiel. Certes, Valls ne change pas de cap, le gouvernail de l’austérité organisée continuera à donner du grain à moudre au FN. Mention spéciale à son vœu pieux : « Les Français aiment l’Europe ».

Même topo à droite. Du côté de l’UMP, on méprise moins l’électeur frontiste, on se contente de relativiser, voire de nier, la raclée électorale. Les grognards sarkozystes Hortefeux et Morano étant dans les choux, ils se consolent avec des comptes d’apothicaire, en additionnant les 10% de la liste UDI-Modem à leur score médiocre. Las, le camouflet infligé à Sarkozy n’en est que plus flagrant, les accents souverainistes de sa récente tribune n’ayant pas suffi à berner le peuple de droite. Traduction, en langage techno : « L’UMP est la seule force capable de résister au Front national » (Bruno Le Maire). S’il est une vertu du cataclysme d’hier, c’est bien d’avoir suscité quelques vocations de comique. Rien que de très classique chez les autres ténors enroués de l’UMP, Goasguen mettant la défaite de son camp sur le dos de Guaino. Le premier qui dit la vérité…

Et la lucidité dans tout cela ? Mélenchon, distancé par l’autre Front, tire de son petit 6% une morale désabusée : « Le vote ethnique a supplanté le vote social. » Mouais. Reprise au bond par Zemmour, cette semi-vérité dissocie à tort vote social et vote ethnique, alors que les deux sont étroitement liés. Cahin-Caha, la « classe moyenne prolétarisée » souffre autant des conséquences sociétales de l’immigration que de ses effets économiques, la multiplication des boucheries hallal faisant moins mal qu’une délocalisation.

La grande quinzaine antifasciste n’est vraiment plus ce qu’elle était. Douze ans après le 21 avril 2002, le PS se frotte les mains de voir Marine Le Pen accéder à la première marche de l’opposition. Depuis hier, Valls nous martèle le même message que Copé : la gauche doit partir unie dès le premier tour pour être sûre de se qualifier au second tour des élections qui en comptent deux (cherchez l’erreur, la politique libérale du gouvernement n’étant pas précisément faite pour s’attirer les bonnes grâces du  Front de gauche…). En dépit des apparences, l’Elysée et Solférino ont donc enregistré leur plus grande victoire depuis les municipales : s’ils ne voulaient pas faire mousser le FN, pourquoi auraient-ils déterré le droit de vote des étrangers ? En exacerbant la guerre civile idéologique entre « une France qui a peur devant certaines réalités plus ou moins mythifiées – à commencer par l’immigration » et « une France qui a peur de la peur des autres, et tend à nier les problèmes posés par ces derniers » que Pierre-André Taguieff analyse dans son dernier essai, Hollande et Cambadélis se font les apprentis-sorciers de la diabolisation. Prudence : 2017 nous dira qui de l’UMP ou du PS a trop joué avec les allumettes.

Du diable en politique. Réflexions sur l’antilepénisme ordinaire. Pierre-André Taguieff, CNRS éditions, 2014.

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*Photo : AY-COLLECTION/SIPA. 00684371_000011.



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