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Europe unie, Etats désunis


Des dernières élections espagnoles, les commentateurs habituels n’ont voulu retenir que la victoire par K.-O. de la droite (Parti populaire) sur la gauche du Premier ministre sortant, José-Luis Zapatero. Une alternance banale, en somme, comparable à celle observée dans nombre de scrutins récents en Europe, où les dirigeants en place font les frais de la crise économique et des politiques de rigueur imposées par Bruxelles et Francfort.

Mais en y regardant de plus près, on peut constater que la désaffection des électeurs pour les sortants a bénéficié à d’autres forces que celles de l’opposition classique : ce sont les mouvements séparatistes qui travaillent depuis longtemps des territoires mal arrimés à des États-nations issus de la longue histoire de notre continent. Ainsi, pour la première fois depuis l’instauration de la démocratie en Espagne, les nationalistes catalans de Convergencia y Unio ont emporté la majorité dans trois des quatre provinces constituant la Catalogne. Au Pays basque, un nouveau parti, Amaiur (La Gauche), issu d’une ETA qui vient tout juste d’abjurer le terrorisme, arrive en tête dans la province de Guipuzcoa, alors que le PNV (Parti national basque, droite nationaliste) l’emporte en Biscaye. Cette poussée nationaliste atteint même la Galice, qui envoie aux Cortès deux députés appartenant à une formation séparatiste.

On pourrait interpréter ces résultats comme l’expression d’un prurit « girondin » si l’État espagnol n’était pas allé jusqu’à la limite du possible en matière de dévolution aux régions de compétences administratives et budgétaires. Il s’agit plutôt d’un défi lancé à Madrid par des partis qui ne cachent pas leur objectif ultime : l’indépendance totale et la rupture du lien multiséculaire avec l’État espagnol.[access capability= »lire_inedits »] Convié à donner son interprétation du mandat que lui ont confié les électeurs, le Basque Jon Inarritu, député Amaiur, répond : « Depuis le tout début, nous savons que notre référence n’est pas Madrid. Notre référence c’est le Pays basque. Et nous allons à Madrid pour réclamer les droits du peuple basque et ceux des travailleurs basques. Nous n’avons pas l’intention de participer activement à la gestion de l’État à partir des institutions de Madrid. » En Catalogne, les nationalistes sont parvenus à imposer un bilinguisme généralisé, creusant ainsi le fossé culturel avec le reste de l’Espagne.

Après l’entrée de l’Espagne dans l’Union européenne, ces partis ont misé sur le dépérissement des États-nations au profit d’une « Europe des régions ». La chute du communisme, l’élargissement de l’UE et sa transformation en une vaste zone de libre-échange ont provoqué l’inverse. Les exemples tchécoslovaque et yougoslave ont démontré que seul l’accès au statut d’État-nation − les nouvelles frontières épousant les périmètres d’une solidarité naturelle entre les habitants de ces nouveaux États − permettait d’obtenir voix au chapitre à l’extérieur et d’instaurer une démocratie fonctionnelle à l’intérieur.

Lorsque les provinces culturellement sécessionnistes se trouvent jouir d’un dynamisme et d’une prospérité économique supérieurs à celle des autres composantes de l’État central, cela accroît d’autant la force centrifuge. En temps de crises et de vaches maigres, le devoir de solidarité envers les régions les plus pauvres, qui cimente l’unité nationale, devient insupportable. Ce phénomène, qui a heureusement épargné la France et l’Allemagne grâce au génie de Napoléon et de Bismarck[1. La comparaison entre Angela Merkel et Otto von Bismarck faite par Arnaud Montebourg ne tient pas. Le « chancelier de fer » était un visionnaire, alors que la mecklembourgeoise n’est qu’une épicière.], sape les fondements d’au moins trois nations européennes : l’Espagne, l’Italie et la Belgique.

On placera à part le Royaume-Uni où les nationalismes écossais, nord-irlandais et, dans une moindre mesure, gallois, ont été habilement gérés sous les gouvernements de Tony Blair. On peut faire crédit au berlusconisme d’avoir, en Italie, au moins retardé cette évolution en enfermant la Ligue du Nord au sein de sa coalition des droites. La récente déconfiture du « Cavaliere » a remis les compteurs à zéro : en se plaçant résolument dans l’opposition au gouvernement de « technocrates » de Mario Monti, la Ligue compte bien en toucher bientôt les bénéfices électoraux et reprendre sa marche vers l’instauration d’une « Padanie » délestée du fardeau du Mezzogiorno. Quant à la Belgique, la constitution, après plus de cinq cents jours de crise, d’un gouvernement fédéral dirigé par le socialiste wallon Elio di Rupo ne doit pas faire illusion. C’est un gouvernement de soins palliatifs pour une nation à l’agonie, formé dans la panique de voir le pays attaqué par les vautours des agences de notation. Le séparatiste flamand Bart De Wever reste en embuscade, laissant ses concurrents assumer l’impopularité d’une cure d’austérité où les Flamands auront, une fois de plus, la désagréable impression de se serrer la ceinture un cran trop fort par la faute des francophones.

Ces situations révèlent l’échec de l’utopie européenne : l’Union a échoué à créer un espace de solidarité naturelle où il serait, par exemple, aussi évident de partager la richesse produite, mettons en Rhône-Alpes, avec la Grèce ou le Portugal qu’avec le Limousin ou l’Auvergne. Si cela avait été le cas, les nationalismes basque, catalan ou « padanien » se seraient limités à des manifestations culturalistes de style breton ou bavarois ou à des gesticulations folklorico-mafieuses de type corse.

Le recours au fédéralisme européen comme solution miracle au repli sur des identités et des territoires familiers, mâtiné d’une bonne dose d’égoïsme de la part des nantis, n’est qu’une chimère. Comme le disait Gordon Brown : « Entre la nation et le monde, il n’y a rien. » Encore faut-il que la nation ne soit pas minée de l’intérieur par ceux qui ne l’ont jamais vraiment acceptée.[/access]

 

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Décembre 2011 . N°42

Article extrait du Magazine Causeur



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