Pour les nouveaux élus locaux verts, la terre n’est que de la matière sans histoire ni imaginaire. Pour ceux qui sont attachés à la singularité française, c’est le terroir: la terre travaillée par les ancêtres qui porte leur empreinte.
Le retour en force, et en grâce, du local, des circuits courts, des « petits commerçants », des « petits artisans », de la souveraineté, de ces mots, et de ces choses, hier encore conspués et abandonnés aux populistes, témoignent d’une aspiration à retrouver une terre, un sol, des réalités concrètes, incarnées, charnelles. « Heureux qui comme Ulysse a fait un beau voyage […] et puis est retourné, plein d’usage et raison, vivre entre ses parents le reste de son âge », chantait le poète. Ces vers de Du Bellay peignent et éclairent le mouvement qui nous porte. Comme Ulysse, après des décennies de fuite en avant et d’abstraction, il semble bien que nous aspirions à rentrer. Comme Ulysse, nous redécouvrons les vertus du lieu, de la sédentarité et des choses familières. Sans doute le voyage, métaphore du nomadisme et du mouvement perpétuel, de l’individu en marche et de la mondialisation, a-t-il été beau, pour certains du moins, ceux qui en ont les moyens, matériels et moraux. Ceux que l’on appelle les gagnants de la mondialisation. Toutefois, même parmi ces derniers, l’adhésion n’est plus si entière. Eux aussi, à l’image du héros de Troie, commencent à s’en retourner pleins d’usage et raison, mais d’une raison toute négative, instruits de ce que cette vie n’en est pas une, qu’elle entraîne la destruction la planète sans doute, mais d’abord ne nourrit pas son homme. Si économiquement, la mondialisation fait des gagnants, existentiellement, elle ne fait que des perdants. Les anywhere, ces cadres de l’économie numérique, ces traders et autres individus hautement diplômés qui se flattaient hier d’être de partout et de nulle part, se convertissent à des métiers manuels, cultivant leur lopin de terre ou leur vigne, conduisant leur troupeau de chèvres et fabriquant leur fromage.
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La France périphérique et l’élite mondialisée d’hier semblent ainsi faire cause commune. Et l’on pourrait penser, l’on voudrait penser que le parti écologiste donne une traduction politique à cette aspiration, à ce désir de retrouvailles avec la nation. Grégory Doucet, le nouveau maire EELV de Lyon, n’a-t-il pas déclaré, congédiant la polarité droite/gauche, que « le clivage qui fait sens en politique, c’est celui entre les terrestres et les non-terrestres » ? Sauf que… la terre de Doucet, ce n’est jamais que de la terre, de la matière, sans histoire, sans passé, sans imaginaire, ou bien la Terre, avec une majuscule, réalité aussi abstraite que la planète, alors que la terre de la France périphérique et celle de tous ceux qui sont attachés à la singularité française, c’est la terre travaillée par les ancêtres, portant leur empreinte, sédimentée par les siècles, le terroir. Nos « locavores » promeuvent les « petits producteurs » français, les « petits paysans », les « petits artisans » français, mais veillent farouchement à ce que le rapatriement ne soit pas entendu en un sens littéral, comme retour dans la patrie, pour ne rien dire de la mère patrie. On veut bien retrouver un sol, une terre, mais une histoire, une géographie, des racines en aucune façon ! Citoyens du monde, ils étaient hier, citoyens du monde, ils demeurent ! Chantres de la société inclusive et du multiculturalisme, ils entonnent avec l’Union européenne l’hymne à la joie d’un monde sans frontières et ouvert à toutes les migrations. Patrice Boucheron est leur historien, l’Histoire mondiale de la France, leur Bible. Ceux-là mêmes qui confèrent sa respectabilité à ce mouvement de retour restent des mondialistes et des déracinés.
EELV participe au déracinement de la France
Loin de rendre sa légitimité anthropologique au besoin d’enracinement, d’inscription dans un lieu et dans une histoire, qui se fait entendre aujourd’hui en France comme dans l’ensemble des pays occidentaux, l’écologie politique, telle qu’elle s’incarne dans Europe Écologie les Verts et leurs satellites socialistes, travaille à extirper le peu de racines qui ancraient encore la France dans une histoire, dans un passé. Les Verts restent inféodés à ce que Vincent Descombes appelle des « nœuds mentaux », c’est-à-dire des associations d’idées moralement qualifiées (l’ouverture, c’est bien ; les frontières, c’est mal ; l’immigration est une richesse pour la France…), et se font les alliés de tous les procureurs et fossoyeurs de la France historique. Point de douleur de la couleur progressiste, la nation est aussi celui de la conscience écologiste. Au moment où la philosophe Simone Weil est confirmée dans ses conclusions, où la patrie est redécouverte comme « milieu vital » et « source de vie », les écologistes parachèvent sa décomposition. Même s’ils peuvent à l’occasion la récupérer parce qu’elle est une femme, et aussi parce qu’elle a conduit une critique sévère du colonialisme, l’auteur de L’Enracinement n’est pas leur philosophe ! Comme Du Bellay ne saurait être leur poète !
Qu’est-ce que la France pour eux ? En aucune façon, une chose belle et précieuse, ils la tiennent au contraire pour laide et fautive, coupable de part en part, à l’endroit des femmes, des minorités raciales et sexuelles, des animaux, des végétaux, etc. ; fragile et périssable, assurément, et, c’est pour eux la bonne nouvelle, ils ont en effet compris, avec les féministes, avec les indigénistes, avec les islamistes, que le fruit ne demandait qu’à tomber. Et sans réplique collective, ils ont raison.
La nature comme alibi pour détruire la culture
Ce n’est évidemment pas qu’ils soient sensibles à la nature que nous condamnons, ainsi que tente de le faire accroire le journaliste du quotidien Le Monde, Nicolas Truong : la nature leur sert d’alibi pour mieux anéantir la culture, de sorte qu’ils s’autorisent de l’« urgence climatique » pour abolir les modes de vie, les usages, les traditions. Dans leur rapport à l’héritage des siècles, les écologistes perpétuent l’anthropologie moderne de l’homme comme maître et possesseur. Or, parce qu’elles sont également mortelles, la Terre et les civilisations doivent pouvoir compter sur cette créature qu’est l’homme capable de gratitude, capable de prendre soin de ce qui lui est confié, capable de permettre à la nature et à la civilisation de se continuer.
Comme les membres de La République en marche, les représentants d’Europe Écologie les Verts ont moins de 50 ans. Ils appartiennent donc à ces générations, formées, grandies plutôt, dans une école qui a renoncé à transmettre le testament français et à former des héritiers et des continuateurs. Ils ignorent tout de l’histoire de la France et, pour le peu qu’ils croient en connaître, l’exècrent. Ils vivent aplanis sur le seul présent. Leurs instruments de réflexion sont importés des campus américains.
Mais quittons la théorie pour les faits. Depuis mars dernier, nous disposons d’un extraordinaire théâtre d’observation. Sans doute est-il inapproprié de qualifier de « vague verte » les résultats des élections municipales – les écologistes ne devant souvent leur succès électoral qu’au fort taux d’abstention. Il n’en reste pas moins que EELV préside désormais aux destinées de neuf villes, et non des moindres. Après Grenoble, conquise par Éric Piolle en 2014, lequel a été reconduit dans ses fonctions, Lyon, Bordeaux, Strasbourg, Rennes, Annecy, Poitiers, Besançon, Tours sont désormais administrées par des Verts.
Les premières mesures des maires Verts se portent contre les traditions
Théâtre d’observation d’autant plus précieux, et édifiant, que les élus envisagent les villes dont ils sont devenus les princes comme des « laboratoires », des « laboratoires de transition », entendez d’expérimentation. Il est significatif, mais nullement inattendu, que les premières mesures prises par les maires EELV aux lendemains de leurs élections soient toutes tournées contre la langue, les mœurs et les usages traditionnels (sapins de Noël, Tour de France, cérémonie du Vœu des Échevins). Les villes et leurs habitants n’y sont considérés que comme de la matière à façonner selon leur Idée. Les traditions dont ces villes sont riches ne les obligent à rien. Phrase formidable du maire de Bordeaux au sujet de ce fameux sapin de Noël traditionnellement installé Place Pey-Berland, et dont il a programmé la fin au motif qu’il s’agissait d’un « arbre mort » – les fleuristes figurent-ils sur la liste des prochaines interdictions que l’édile prononcera ? : « Ce n’est pas du tout notre conception de la végétalisation », mais la « végétalisation », ce n’est pas son objet, au sapin !
Végétalisation, un de ces mots qui composent la novlangue des écologistes. Les écouter parler, ou les lire, c’est mesurer leur degré d’abstraction ! Leur bêtise aussi, et leur puérilité : Jeanne Barseghian, la maire de Strasbourg, s’est flattée de ne pas rendre « hommage » à Gisèle Halimi et à Jacqueline Sauvage, mais « femmage ». Ils ont d’ailleurs été les premiers à user et abuser de l’épouvantable « impacter ». Les tomates ne pousseront peut-être plus hors sol, mais leur langue est déjà coupée de tout sol nourricier. Les Verts travaillent au déracinement de la langue. Ainsi, mettant leurs pas dans ceux d’Anne Hidalgo, après leur programme, tout entier écrit en langue inclusive, voici venu le temps des documents administratifs libellés en idiome inclusif, qu’il serait plus honnête de nommer « séparatiste », puisque postulant que les hommes et les femmes forment deux espèces que rien jamais ne réunit, chiens de faïence au seuil du paradis vert.
Toujours sur ce chapitre de la langue, les intitulés des attributions constituent des monuments de verbiage : les maires s’entourent d’adjoints « à la résilience », « à l’urbanisme résilient » – mot également fétiche d’Anne Hidalgo et de la mairie de Paris qui le 25 août de cette année plaçaient la cérémonie de la Libération de Paris sous le signe du triptyque « Résistance-Renaissance-Résilience » –, « à la transparence », « à la tranquillité » ou, trouvaille de Piolle, « à la tranquillité publique et au temps de la ville » – tranquillité se substituant à sécurité, terme qui laisserait entendre que l’insécurité existe, que certains la subissent, en meurent même, quand elle n’est, chacun le sait bien, qu’un sentiment.
Les femmes et les LGBT se disputaient déjà la distribution des noms de rues ou de lieux publics, avec les écologistes entrent en lice un nouvel acteur de la concurrence victimaire, l’animal. Ainsi, le 4 octobre, « Jour du bien-être animal », le maire de Tours, Emmanuel Denis, baptisera un jardin municipal du nom de Fritz afin de rendre hommage à un éléphant de cirque qui, en 1902, s’étant enfui et semant la panique dans la ville, avait fini par être abattu. Martyr historique de la cause animale ! Les grands hommes et leurs statues peuvent trembler sur leur socle !
Minorités et diversités, grandes causes municipales des Verts
Les femmes, les animaux, et… les minorités, les diversités, érigées en grande cause municipale par nos nouveaux édiles. Grégory Doucet était on ne peut plus explicite dans son programme : au chapitre « Lyon émancipatrice », le candidat s’engageait à œuvrer à « la valorisation des cultures non dominantes (l’écologiste se reconnaît à ce qu’il parle aussi la langue des indigénistes) et de la mémoire et de la culture des migrations ». On ne s’étonnera donc pas que Doucet ait rompu avec la tradition de la présence du maire à la messe du renouvellement des Vœux des Échevins à Notre-Dame de Fourvière pour se rendre quelques jours plus tard à l’inauguration d’une mosquée. Quant à la reconquête des territoires de la République, ne comptons pas sur les élus verts pour y œuvrer. « Changer de modèle de société », c’est aussi, c’est d’abord changer la physionomie des villes. Ainsi Jeanne Barseghian, dont un des soutiens se flattait pendant la campagne électorale de servir « la seule liste avec une daronne voilée », compte parmi ses élus, et siégeant dans son conseil municipal, une femme portant le hidjab.
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Ce n’est pas qu’ils aspirent à agir, qu’ils remettent en question le primat de l’économie et contestent le tourisme de masse qui rend les Verts menaçants, bien au contraire, c’est qu’ils confondent action politique et fabrication. Que du volontarisme politique, ils glissent sans crainte ni tremblement vers le constructivisme, se donnant pour mission de « reconstruire la société selon un plan tracé d’avance et affranchi de tout ancrage dans la tradition et dans l’histoire ». L’écologie est le nouvel avatar de l’utopie de la régénération de l’humanité. Sans doute, la barbarie se faisant douce, on ne parle plus que de « changer les mentalités » et « la société », mais le projet est le même. Dans ce scénario, les résistances auxquelles les écologistes peuvent se heurter ne leur apparaissent jamais que comme l’indice du « vieux monde qui résiste », d’un passé qui s’obstine, qui se refuse à mourir, un passé qui « a à la main on ne sait quelle hideuse revendication de l’avenir » (Victor Hugo), bien sot celui qui s’en encombrerait. On ne fait pas d’omelette sans casser des œufs ! disait-on du temps de Robespierre et de Staline. L’ennui, c’est que nous sommes les œufs.