C’est dans l’indifférence la plus totale que les citoyens européens ont découvert, au bout d’un couloir bruxellois, leur nouveau “président”, accompagné de son nouveau chef de la diplomatie. Déjà, à l’occasion de la nomination d’Herman van Rompuy et de Catherine Ashton, l’apparition de ces inconnus avait suscité une moue dubitative du public. Les quolibets sur leur charisme et leur cursus avaient tristement alimenté la haine de Bruxelles et de ses technocrates. Il faut croire que des leçons du passé ont été tirées, le casting a été un peu plus soigné cette fois-ci. Le polonais Donald Tusk ne manque pas de caractère et la belle italienne Federica Mogherini fera oublier la peu ragoûtante Lady Ashton.
Mais l’essentiel n’est pas là. Une fois de plus, les susceptibilités nationales et politiciennes ont pris le pas sur la compétence supposée des candidats. Un libéral de droite contre une progressiste de gauche, un homme du nord pour une femme du sud. Résultat, on se retrouve avec un président du conseil européen qui ne parle ni l’anglais ni le français, les deux principales langues de travail à Bruxelles (signe des temps, il parle l’allemand et le russe). Et Donald Tusk va présider le conseil de la zone euro sans que la Pologne n’en fasse partie. Un comble pour la souveraineté monétaire de pays qui souffrent de la rigueur déflationniste décidée à Francfort. La nouvelle haute représentante de l’UE, sans préjuger de son expérience à 41 ans, était depuis quelques semaines à la tête de la diplomatie italienne. Il reste à espérer que Matteo Renzi n’ait pas souhaité exfiltrer Mogherini comme Hollande l’a fait avec Moscovici…
Sans doute faut-il relativiser le poids de ces nominations. Mais les profils euro-atlantistes choisis ne feront pas beaucoup avancer la cause de l’Europe-puissance souhaitée par la France. Qui a pu croire une seconde que Federica Mogherini était pro-Poutine? Elle a été vice présidente de la fondation Italie-Etats-Unis. Elle va succéder à Catherine Ashton qui depuis 5 ans est à l’unisson des préoccupations anglo-saxonnes. Envoyé avec succès comme sherpa à Téhéran et à Belgrade, elle a en revanche traîné la patte pour engager l’Europe en soutien de la France en Afrique. Pas question de concurrencer l’OTAN sur les questions de défense. Quant à Van Rompuy, il n’a pas fait d’ombre à Barroso, une gageure, et il s’est contenté du rôle dévolu autrefois au secrétaire général du conseil européen, Pierre de Boissieu.
Le plus grave, c’est que les chefs d’Etat, en cherchant des profils politiques qui ne leur fassent pas d’ombre, risquent de reporter la lumière, non pas sur eux, mais sur le président de la commission, le redoutable et expérimenté Jean-Claude Juncker, l’homme fort d’Angela Merkel. Donald Tusk a, depuis de nombreuses années, donné des gages de fidélité à Berlin, et d’après Jean Quatremer, la chancelière a obtenu que Federica Mogherini soit bordée par un secrétaire général du SEAE allemand, en remplacement d’un autre français, Pierre Vimont, l’actuel numéro deux de la diplomatie européenne. Autant dire que tout est verrouillé.
Jean-Claude Juncker, Martin Schulz et Angela Merkel peuvent souffler, ils continueront d’ incarner l’Europe, l’Europe allemande bien sûr. Hollande lui n’a pas à rougir; réussir à recaser Moscovici à un poste économique n’était pas gagné d’avance… tant pis pour la croissance et la défense européennes.
*Photo : U.S. Department of State.
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