L’Europe est aux abois. Réduite à une simple expression géographique, l’Union européenne n’a plus rien de l’utopie en marche que nous vendaient jadis ses promoteurs enthousiastes. Chez les fédéralistes, le fond de l’air est noir, comme ne manque de nous le rappeler Elisabeth Lévy. « Vu d’en bas, l’Europe évoque une sorte d’adjudant-chef tâtillon, qui se mêle de tout, vous impose des règles absurdes pour vous nourrir ou vous habiller et vous oblige à garder l’arme au pied face au danger. », développe notre directrice de la rédaction. D’ailleurs, si l’on en croit le sondage exclusif Ifop/Causeur commandé pour l’occasion, avant même les attentats de Bruxelles, 53% des Français voulaient sortir de l’espace Schengen de libre circulation des personnes au sein de l’Union européenne.
Au cœur de la crise européenne, le divorce franco-allemand est apparu au grand jour lors des négociations avec la Turquie de l’accord sur les migrants. Unilatéralement validé par Berlin, cet accord a été imposé à Paris et aux vingt-sept autres pays européens mis devant le fait accompli par Merkel, « la chancelière qui aura planté les derniers clous du cercueil de cette relation privilégiée », constate Luc Rosenzweig. Olivier Prévôt, tenancier du blog L’esprit de Narvik et fin connaisseur de la Scandinavie, nous rappelle le précédent norvégien de 1994, quand en d’autres temps et d’autres mœurs, la vox populi refusa d’adhérer à une Europe pourtant florissante contre ses élites. Aujourd’hui, c’est notamment autour de l’enjeu migratoire que passe la lutte des classes. Interrogé par Gil Mihaely, l’universitaire néerlandais spécialiste de l’immigration Paul Scheffer, par ailleurs membre du Parti travailliste, dresse le bilan de Schengen (« Si on érige des frontières à l’intérieur de l’Europe, c’est qu’on a abandonné nos frontières extérieures. Les frontières de la France sont en Grèce et en Italie ! ») et du multiculturalisme. Celui qui a tiré la sonnette d’alarme sur la ségrégation culturelle il y a déjà une quinzaine d’années ne mâche pas ses mots : « La majorité des citoyens des pays d’accueil croit que l’islam est incompatible avec la démocratie tandis que trop de musulmans européens pensent que la démocratie est une idée étrangère à l’islam ». Voilà qui est dit. À l’est du continent, il y a du nouveau selon l’historien franco-polonais Michel Maslowski, « ce qui cimente l’Europe centrale, c’est la mémoire historique » des empires, une histoire qui a marqué une Mitteleuropa qu’effraient les migrants et le grand voisin russe.
Au milieu de tout ce marasme, Jérôme Leroy ose une pointe d’optimisme. Deux gouvernements de gauche, en Islande et au Portugal, appliquent avec succès « la méthode Bartleby ». Tandis que l’île volcanique a retiré sa demande d’adhésion au grand bateau européen à la dérive, nos amis lusitaniens s’assoient sur l’ordolibéralisme eurobéat sans que la Commission ne moufte. Une brèche dans la doctrine brejnevo-bruxelloise de la souveraineté limitée permise par crainte d’un nouveau Brexit ou d’une crise grecque. Chez bien des jeunes, la déconfiture de l’UE alimente un souverainisme de bon aloi, tantôt gaulliste, socialiste, ou communiste, comme l’illustre mon enquête chez les grosses têtes des grandes écoles parisiennes.
Mais foin de l’Europe. Retour dans l’Hexagone, qui n’a pas davantage de quoi pavoiser. En reportage dans le XIXe arrondissement parisien, Cyril Bennasar ausculte la décomposition française : une école algérienne voit affluer barbus et femmes en burqas. Dans ce qui était autrefois un havre de paix pour les femmes et les immigrés, les invectives sexistes et antisémites fusent. Dans le même ton, Malika Sorel accuse nos gouvernants d’irresponsabilité face à la menace djihadiste : « Pour protéger leurs citoyens, les dirigeants européens n’ont pas trouvé mesure plus intelligente que de retenir les apprentis terroristes à l’intérieur du territoire, quand l’esprit de responsabilité commandait au contraire de les laisser partir puis de les empêcher de revenir. » Le loup est dans la bergerie et on ne le délogera pas de sitôt. Même à Tourcoing, dont le jeune maire Gérald Darmanin a fait profession de fermeté, celui-ci « rivalise désormais avec Martine Aubry sur le terrain du clientélislamisme », nous apprend Stéphane Daniel.
Sur le terrain économique et social, l’antilibéral décroissant Aurélien Bernier, partisan de la démondialisation, croise le fer avec Jean-Sébastien Hongre, lequel soutient la loi El Khomri afin de libéraliser un marché du travail pétrifié.
Last but not least, nos pages culture vous feront voyager des œuvres du grand écrivain américain Dashiel Hammett au premier essai d’Eugénie Bastié, critique du noé-féminisme que j’ai fait débattre avec l’ancienne rédactrice en chef de 20 ans Isabelle Chazot. Quand une brillante catho rencontre une brillante marxiste, la plus réac des deux n’est pas forcément celle que l’on croit… Après un détour par Sainte-Hélène au côté du directeur de la fondation Napoléon, vous parcourrez les nouveaux livres des tocquevilliens Gauchet et Le Goff, analystes du malaise dans la démocratie française.
Bref, faites comme moi : je ne bois pas, je ne fume pas, je ne drague pas mais… je cause !
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